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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/186

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nécessaires à un repas. Elles allaient et venaient, sérieuses et affairées ; d’autres petites compagnes se joignirent à elles, et dans quelques minutes nous eûmes devant nous un souper japonais fort bien servi : il se composait, comme le repas que j’avais déjà pris, d’œufs durs, de homard, de poisson cru et bouilli, de riz, de fruits et de sucreries ; le vin doux d’Osakka, le sakki et le thé n’avaient pas été oubliés. Les mets étaient appétissans et bien préparés, et nous fûmes servis avec autant d’adresse que de complaisance par les petites domestiques. Ces enfans, connues sous les noms de kabrousses ou kamèrons, sont élevées par les djoros (courtisanes) et par l’o-bassan, et destinées à les servir ainsi que les personnes qui viennent dans la maison.

Pendant le souper, nous vîmes entrer plusieurs jeunes filles ; c’étaient les djoros. Elles se présentèrent l’une après l’autre, et nous adressèrent un profond salut en se mettant à genoux et en touchant la terre de leurs fronts, puis elles se retirèrent dans un coin de la salle. Sur notre invitation, elles vinrent s’asseoir auprès de nous et prirent une part modeste à notre repas. Elles étaient d’ailleurs silencieuses et réservées, et ne répondaient à nos questions que par quelques timides paroles. Leur costume ne différait de celui des jeunes Japonaises que par le haut prix et l’éclat des étoffes. Quelques-unes avaient piqué dans leur chevelure des épingles d’écaille de la plus belle qualité[1].

Le souper terminé, les petites filles desservirent, et d’autres personnes pénétrèrent dans la salle. C’étaient quatre ghékos ou chanteuses, dont le costume rivalisait de richesse avec celui des djoros ; chacune d’elles portait à la main le sam-sin, l’instrument favori des Japonais. Après avoir mis leurs sam-sins d’accord, elles commencèrent à jouer en se servant, pour frapper les cordes, d’un morceau d’ivoire taillé en forme de hache. La musique japonaise ne peut entrer en comparaison avec la nôtre ; cependant on distingue dans les chants populaires quelques motifs faciles et agréables. Il faut reconnaître aussi que les Japonais sont doués d’une grande justesse d’oreille ; ils jouent et chantent parfaitement à l’unisson, et observent avec exactitude le rhythme souvent très difficile de leurs mélodies. Sur l’ordre de l’o-bassan, les jeunes filles se levèrent pour exécuter des pas de danse à un ou plusieurs personnages. Leurs gestes forcés, leurs contorsions bizarres, étaient fort peu en harmonie avec les idées que nous avons de la grâce ; mais ces mouvemens souples et précis s’adaptaient fidèlement au caractère de la musique, tantôt lente et triste, tantôt rapide et bruyante, et qui servait d’accompagnement

  1. Une grande épingle d’écaille jaune coûte de 100 à 1,000 francs.