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direction morale, elles n’apportent guère plus de discernement. Pour les jeunes filles, la meilleure garantie serait un séquestre judicieux. Il faudrait empêcher le mélange non-seulement des sexes, mais jusqu’à un certain point des âges, en écartant aussi les influences qu’exercent sur les élèves sédentaires celles qui ne sont que de passage. Sans un triage sévère, aucun bien n’est possible. Malheureusement ce triage n’a lieu que par exception. Le mal ici s’aggrave de toutes les déchéances que la femme seule est dans le cas d’encourir, la prostitution entre autres, qui met ces maisons des pauvres en coupes réglées et en prend la fleur. Quant au reste, il semble destiné à végéter sur place, et va de la cour des enfans à la cour des adultes sans que le passage dans les écoles amène d’amendemens bien sensibles. Le paupérisme vit ainsi de sa propre substance. À peine voit-on se détacher du milieu de cette corruption quelques natures mieux trempées et plus vigoureuses qui brisent résolument leur chaîne, et demandent au travail le prix de leur rançon.

Pourtant il y avait eu ça et là quelques essais propres à indiquer la bonne voie, et dans ce nombre celui de Norwich. La maison de Norwich, couvent du moyen âge tant bien que mal approprié, était classée au dernier rang pour la qualité de ses pensionnaires. Nulle part, disait-on, l’enfance n’était plus dégradée. Cédant au cri public, les administrateurs firent un effort. Deux établissemens distincts, l’un pour les garçons, l’autre pour les filles, furent créés comme annexes de l’établissement principal. Pour mieux empêcher les mélanges, on les plaça hors des murs de la ville et à une certaine distance. La maison des jeunes filles était surtout charmante d’aspect ; ses constructions fraîches formaient un contraste avec les sombres murs du cloître qui abritait les adultes. Un parterre et un jardin potager occupaient le front des bâtimens, et s’étendaient jusqu’au mur d’enceinte qui longeait la route. Le seul luxe en tout ceci était dans la beauté du site, la pureté de l’air, l’harmonie et l’entente des distributions intérieures. Les lieux disposaient à de bonnes impressions ; rien n’y attristait l’œil des enfans. Un meilleur système d’éducation accompagna ce changement de résidence. À côté et au-dessus des maîtresses d’écoles, la directrice du nouvel établissement veilla à ce que ces jeunes filles devinssent aptes aux travaux de leur condition. On leur apprit à coudre, à laver, à blanchir, à repasser ; on les mit au courant des divers services de la maison et de la ferme, de manière qu’elles pussent se placer au dehors et recevoir quelques gages. Ces réformes bien simples réussirent au-delà de toute attente. Un chapelain attaché à l’établissement constatait, après dix ans d’exercice, que, parmi les jeunes filles qui