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chasser des autres établissemens. Le plus fort des trois contingens est fourni par les parens dissipateurs,, et en première ligne par les ivrognes. Pour plusieurs motifs, l’école en haillons a droit à leurs préférences : elle est gratuite, et ne prélève sur leurs goûts ni un verre de gin ni un verre de whisky. Elle n’est pas difficile en fait de costume, et admet les élèves comme ils sont, quand ils quittent le ruisseau pour les bancs, à demi nus, les mains sales, les cheveux en désordre. Ce sont là autant de peines et de dépenses épargnées, et l’ivrogne y regarde de près. Que son enfant aille à l’école, soit, pourvu que cela ne trouble en rien ses comptes de cabaret. La meilleure des écoles pour lui est celle qui lui laisse moins de souci et plus d’argent à dépenser. Sous ce rapport, il est admirablement servi ; jamais discipline ne fut moins sévère que celle des écoles de son choix : point de renvoi, point de mauvaises notes ; l’enfant peut aller aux classes ou s’absenter, sans encourir d’autre châtiment qu’une réprimande dont il se moque, et qui ne l’empêchera pas de recommencer. Cette tolérance est un calcul et une nécessité : conduites avec plus de régularité, ces écoles seraient bien vite désertées ; les parens s’accommoderaient mal d’une discipline rigoureuse, et à la première gêne les enfans s’envoleraient comme des oiseaux effarouchés.

Frappés de ces faits, des hommes sensés ont émis des doutes sur l’utilité de ces institutions. Pourquoi persister dans une œuvre évidemment stérile ? Si, au bout de tant de peines et de sacrifices, on avait vu se produire un amendement général ou seulement des améliorations isolées, l’expérience aurait eu une sanction ; mais aucune illusion n’est possible à ce sujet. Ces écoles n’ont été pour les parens qu’un moyen de se débarrasser de toute surveillance, pour les enfans qu’un lieu de passage et une occasion de rencontre ; les élèves en sortent comme ils y sont entrés, ni plus instruits ni moins turbulens. Un autre inconvénient s’attache d’ailleurs au maintien de ces écoles : complètement gratuites, elles sont pour les écoles régulières une concurrence préjudiciable. Des familles qui auraient pu supporter la dépense de la rétribution scolaire trouvent commode d’y échapper en envoyant leurs enfans dans ces établissemens, qui ne font pas payer leurs services. Un calcul, d’économie les fait passer sur les dangers du mélange, de telle sorte que, sans profiter à la masse des admissibles, ces écoles offrent à un certain nombre d’intrus un prétexte pour s’affranchir d’une charge. Cet abus est manifeste, et de tous côtés on en cite des exemples. Des parens peu scrupuleux imposent à leurs enfans des négligences de costume afin qu’ils ne fassent pas disparate avec la nuée de vagabonds, hôtes privilégiés de ces établissemens. En présence de ces