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cet art d’ornementation n’avait cessé d’être en vigueur dans nos couvens. Après avoir feuilleté les marges et les miniatures de nos manuscrits, essayons d’y retrouver quelles étaient nos chances d’originalité au commencement du XVIe siècle. Eh bien! à l’inspection de ces nombreux sujets reproduisant les scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament, on est saisi tout d’abord par l’évident effort d’une imitation minutieuse appliquée aux objets extérieurs. Généralement, les types humains sont peu variés : il y a le vieillard, l’homme et l’enfant, dont l’expression, une fois adoptée, reste à peu près toujours la même ; l’expression, avons-nous dit, et il est bon de s’en tenir à ce mot. Les artistes miniaturistes en effet ne sont pas tourmentés par l’ambition de réaliser un idéal de correction et de beauté. Ils veulent le signe expressif par excellence, celui qui caractérisera le mieux l’âge et la fonction morale du personnage. Aussi leurs figures peuvent avoir parfois une certaine allure commune, annonçant l’extraction humble des modèles de race laborieuse; mais grâce à l’accumulation de détails précis et choisis, ces figures ne sont jamais vulgaires ni triviales. Le réalisme est ici relevé par un effort constant d’idéalisme expressif.

Le type enfin trouvé, c’est dans l’exécution des accessoires que se donne pleinement carrière le sentiment du naturalisme spécial à nos anciens peintres. Ce qu’on peut appeler le mobilier de l’art des miniaturistes est emprunté de toutes pièces à la vie réelle et contemporaine, rendue avec une exactitude scrupuleuse. La fidélité de l’imitation est poussée à ce point que les manuscrits du XIIIe au XVIe siècle peuvent être considérés comme les documens les plus authentiques sur la décoration intérieure des habitations au temps où ils furent exécutés. La composition séduit toujours par sa naïve clarté. On n’y remarque point de ces sacrifices dont les peintres italiens se montreront si prodigues un peu plus tard, péchant sans remords contre la vraisemblance de la représentation pour obtenir un effet pittoresque plus satisfaisant. Tout dans les ouvrages français est combiné dans une seule intention., — rendre le fait, — et tout y est rassemblé de manière à concourir à l’effet le plus vrai. S’il n’est pas déplacé de se servir ici d’un terme bien moderne à propos d’œuvres si anciennes, on peut dire que, dans les manuscrits, la raison domine aux dépens du dilettantisme.

C’est donc dans les manuscrits français, à partir du moment où l’art se sécularise et sort des couvens, à partir du XIIIe siècle, qu’il faut voir le berceau du réalisme tel que le comportait, que le comporte maintenant encore notre goût en fait d’art. Jusqu’au XIIe siècle, nous avons l’art monacal, purement hiératique. Le vrai n’y est nullement cherché; c’est un art symbolique dont l’unité est la même au nord et au midi, en Occident et en Orient, parce que le principe