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rien de définitif ni d’absolument rigoureux dans cet essai d’attribution; mais c’est celui qui paraît le plus vraisemblable et doit par conséquent se rapprocher le plus de la vérité. La seule objection réellement fondée que l’on y pourrait faire, c’est que le mérite des divers tableaux de genre peints par les Le Nain est loin de se soutenir constamment au même niveau, et l’on s’expliquerait difficilement les défaillances subites d’un même artiste, tombant tout à, coup des finesses d’un tableau très justement célèbre, la Forge (musée du Louvre), aux lourdeurs de l’Abreuvoir et du Repas villageois. Je suis donc tenté de croire, d’après d’anciens catalogues, qu’il y eut un des trois frères dont le talent était tout à fait supérieur, celui qu’on y trouve nommé « le bon Nain. » C’est lui qui aurait donné le ton à ses frères, qui leur aurait servi de guide, lui qu’ils auraient imité en adoptant chacun l’un des genres divers où il excellait. Toutes les hypothèses sont permises en un pareil sujet; mais tant que l’on n’aura pas de renseignemens plus exacts sur la vie de ces artistes, il faudra se borner à des suppositions et ne rien affirmer.

Les peintures des trois frères, on vient de le voir, avaient un cachet d’individualité parfaitement marqué; il ne faut pas en conclure cependant qu’il n’y a entre elles aucune analogie, aucun air de parenté. Les points de ressemblance y sont nombreux au contraire. C’est la même uniformité de palette, d’un aspect terne, crayeux, plombé, le même ton rouge brique, destiné à relever un peu cette monotonie, cette monochromie de l’ensemble pour ainsi dire; c’est le même dédain de l’ordonnance et de l’action dans la plupart de leurs compositions, où chaque personnage pose gravement devant le spectateur, comme de nos jours il poserait devant l’objectif d’un photographe; c’est enfin, et par-dessus tout, une égale puissance d’observation réaliste. L’individualité de chacun des trois peintres ne se montre donc que dans leur plus, ou moins d’habileté à faire usage de procédés semblables. Il est évident par exemple que l’auteur de la Nativité n’est pas l’auteur de l’Abreuvoir ni du Repas villageois, pas plus qu’il n’est l’auteur de la Forge ou du Corps de garde. L’Intérieur de forge, tant de fois reproduit par la gravure, est incontestablement le joyau de l’œuvre des Le Nain, et par excellence le morceau caractéristique de leur manière; il est l’étalon auquel on peut rapporter tous les ouvrages qui leur sont attribués, et parmi ceux-ci celui qui ne porterait pas la même empreinte peut à coup sûr être relégué dans les apocryphes. C’est sans aucun doute par une série d’observations de cette nature que l’administration des musées a été amenée à enlever l’étiquette : attribué aux frères Le Nain, qui a longtemps figuré au-dessous de l’un des tableaux du Louvre bien connu des amateurs ; je veux parler de cette petite