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moment où la réponse de la Russie serait connue, et propose l’ajournement en conséquence. L’ajournement est voté à une très grande majorité, composée surtout de partisans du cabinet, tandis que lord Palmerston avait voté avec la minorité. Le résultat du vote connu, lord Palmerston affecte la surprise puis, croyant devoir satisfaire la curiosité de la chambre sur l’état des négociations, tire de sa poche un petit papier dont il donne lecture, et qui contenait le texte des six points. Tout cela ressemblait à un coup de tactique de lord Palmerston voulant étouffer une discussion embarrassante. Le débat de la motion de M. Hennessy ne pouvait avoir évidemment de conclusion, arrivant au milieu d’une négociation pendante ; mais il ne semble pas non plus qu’il pût gêner la négociation et fournir aucun grief nouveau à la susceptibilité de la cour de Russie. Il eût apporté des enseignemens à l’opinion publique anglaise, encore mal édifiée et incertaine sur la question polonaise ; il eût mûri peut-être cette opinion, il l’eût préparée à des résolutions généreuses, et à ce point de vue on ne saurait trop regretter qu’il ait si pitoyablement avorté.

L’inconséquence de l’Angleterre dans la question polonaise commence à embarrasser les Anglais eux-mêmes. Au début de cette affaire, les Anglais ont cru pouvoir prendre l’attitude qui leur avait si bien réussi dans la question italienne ; leur intention était de donner tous les encouragemens moraux et toutes les marques de sympathie au mouvement de l’émancipation polonaise et de s’abstenir de toute action, de toute intervention militaire. Pour être logique et conserver le bénéfice à double portée de cette attitude étrange, le cabinet anglais eût dû éviter de se mêler du conflit et d’y intervenir par des représentations diplomatiques. L’intervention diplomatique, si elle ne devait, en aucun cas, être soutenue par des mesures coercitives, devait aboutir à l’absurdité et à la confusion. Il y a d’abord une grande présomption et une excessive étourderie à venir proposer un plan de transaction qui peut ne point répondre à la situation véritable de la Pologne vis-à-vis de la Russie, qui peut être refusé par les Russes et surtout par les Polonais, en faveur desquels on est censé l’avoir conçu. Cette tentative pourrait s’expliquer et s’excuser, si, dans la pensée de la diplomatie anglaise, elle n’était qu’une sorte de préliminaire à des mesures plus énergiques, qu’une façon d’entrer en matière et de prendre pied dans la question pour aller plus loin dès que cela deviendrait nécessaire ; mais si, après avoir donné des conseils, revendiqué les principes du droit européen, tracé à la Russie une ligne de conduite, l’Angleterre était décidée à ne passer en aucun cas des paroles aux actes et à laisser-écraser la Pologne, sa situation serait à la fois odieuse et ridicule. Plutôt que d’arriver à cette conclusion, mieux eût valu pour elle se tenir dès l’origine à l’écart des pourparlers diplomatiques. Quel que soit le dédain que l’Angleterre professe pour les questions étrangères, elle ne pourrait pas jouer longtemps avec impunité, sans dommage pour son crédit et la sécurité de ses intérêts dans le monde, ce rôle d’avocat sans conviction et sans force effi-