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il y aurait peu de sagesse à l’engager trop étroitement dans les liens du passé. Des esprits entêtés ou faibles pourraient seuls se dissimuler qu’elle a encore beaucoup à faire pour reprendre l’ascendant qu’elle a possédé à d’autres époques. Tout n’est pas fortuit dans ses revers, et ce qui n’excuse pas la conduite, mais ce qui explique le succès de nos adversaires, notre nation, qui ne passe pas pour manquer d’amour-propre, a eu l’humilité de prêter un temps l’oreille à l’opinion qui la déclare la seule de l’Europe impropre à la liberté ? je dis la seule, quoique le roi de Prusse paraisse depuis quelques semaines réclamer pour ses sujets la même distinction. Mais enfin ils ne sont pas tous convertis, ceux qui soutenaient de bonne foi que ce qui est possible à Bruxelles ne l’est pas à Lille, et que Grenoble ne peut supporter ce dont s’accommode fort bien Turin. « En présence de cette opinion, qui s’affaiblit, mais qui subsiste, tous ceux qui, à un degré quelconque, veulent la mettre dans son tort s’attacheront à lui enlever tous les prétextes, toutes les apparences qui la colorent, en se ralliant dans ces idées conciliatrices de droit commun qui ôtent à la liberté et à l’égalité les formes d’une revanche de la dictature populaire contre le despotisme monarchique. La haine de l’arbitraire et de la violence doit réunir enfin tous ceux que l’arbitraire a persécutés, que la violence a perdus, et la France doit mettre son point d’honneur à faire mentir ses détracteurs, j’entends ces incrédules qui lui jettent à toute heure l’éloge de l’Angleterre comme pour la défier de l’égaler ; mais elle ne réussira à les confondre que par son union dans la volonté d’être libre, libre par la raison et la justice. Les timides qui ajournent la liberté parce qu’elle est difficile et hasardeuse se privent d’avance de tout moyen de la modérer un jour et de se faire écouter des masses qu’ils auront délaissées sans défense en temps d’adversité. Les téméraires qui s’inquiètent peu de ménager les dissentimens et les doutes, de rassurer les intérêts et les scrupules, retordent le triomphe pacifique et définitif des idées régénératrices qui sont l’honneur de notre siècle. Ce triomphe est au prix d’une réconciliation entre la prudence et la témérité. La France n’a qu’un drapeau : quand cessera-t-elle de croire qu’il couvre de son ombre deux nations ennemies ? La France a prouvé maintes fois qu’elle ne craignait personne : quand cessera-t-elle de se craindre elle-même ?


CHARLES DE REMUSAT.