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d’énormes distances et de nombreux degrés de hiérarchie avant d’arriver dans les districts de chaque province. Si l’on songe aux résultats qui ont été déjà obtenus, on doit partager le sentiment de satisfaction et de confiance que l’évêque du Ssé-tchouen exprimait lui-même à M. Blakiston. En résumé, n’y a-t-il point dans le récit du séjour que l’expédition fit à Choung-king un indice très frappant des dispositions favorables dont les Chinois sont généralement animés à notre égard? Ces mandarins et ce peuple que l’on nous représentait si hostiles, vous avez vu comme ils se sont trouvés calmes et doux, et même débonnaires, envers cette bande de quatre Anglais dont l’attitude n’était cependant pas des plus conciliantes. Et peut-on dire encore que le christianisme est opprimé, persécuté, quand il existe au centre même de la Chine des villages entiers peuplés de catholiques, et quand un évêque habite paisiblement son hôtel au chef-lieu et y donne à dîner? Dans quelques années peut-être, les Chinois toléreront des consulats, des comptoirs européens et une cathédrale à Choung-king. Voilà ce qu’il est permis d’augurer du journal de l’expédition, et alors cette riche contrée de la Chine commencera à nous appartenir par la plus naturelle et la plus féconde des conquêtes.

L’avis du préfet et les conseils des missionnaires ne laissant plus aucun doute sur l’impossibilité de se rendre à Ching-tou par la voie de terre, l’expédition poursuivit sa pénible navigation sur le Yang-tse-kiang et partit de Choung-king le 3 mai. On entrait dans la saison des chaleurs : le thermomètre marquait 25 degrés (centigrades) dès le matin et plus de 32 degrés au milieu de la journée. Parqués dans leur jonque, les voyageurs souffraient cruellement de cette lourde température, qui amenait des nuées de moustiques; ils recevaient comme une rosée céleste les larges gouttes que leur versaient assez fréquemment des pluies d’orage, et, dès qu’on jetait l’ancre, ils se baignaient avec délices dans le fleuve, au grand ébahissement de leurs matelots, qui ne comprenaient pas que des gens de condition pussent se livrer à ce vulgaire exercice et trouver le moindre agrément à faire une pleine eau dans le Yang-tse-kiang. En Chine, il n’y a que les hommes du peuple qui se baignent dans l’eau froide ; parmi les classes riches et aisées, on ne connaît que les ablutions d’eau chaude. Les matelots n’étaient pas moins étonnés lorsque les Anglais allaient se promener sur les rives. Ils ne s’expliquaient pas que des personnages assez riches pour avoir à leurs ordres un bateau ou un palanquin prissent la peine de marcher à pied comme de simples villageois. Ces remarques de détail, que n’omet point M. Blakiston, montrent bien que, si nous nous étonnons à tout propos des us et coutumes des habitans du Céleste-Empire, ceux-ci nous le rendent largement, et qu’il y a entre les