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villes et dans les plaines qui bordent le fleuve; nous avons vu de près les mandarins; nous avons observé le peuple, soit au milieu de ses paisibles travaux, soit au-milieu des agitations de la guerre; nous avons extrait de ce premier Guide sur le Yang-tse-kiang les noms, encore douteux, des principales étapes et les traits pittoresques d’un panorama qui se déroule sur une étendue de six cents lieues. Nous n’avons pu évidemment, dans une course aussi rapide, qu’effleurer en quelque sorte du regard cet immense sujet. Telle qu’elle est cependant, avec ses erreurs et ses lacunes inévitables, la relation de M. Blakiston suffit pour donner une idée générale du pays et de ses habitans, et elle permet de contrôler bien des assertions contradictoires, en même temps qu’elle ajoute des notions nouvelles à celles que l’on possède déjà sur l’empire chinois.

En premier lieu, si la question d’une communication directe entre la Chine et l’Inde par le Thibet et l’Himalaya demeure encore indécise (et cette question n’intéresse guère que les Anglais), il n’existe plus aucun doute sur le parti que les Européens doivent tirer du . Kiang pour étendre leur action et leur commerce dans les provinces les plus reculées de la Chine. Facilement navigable jusqu’à I-chang, ce magnifique fleuve peut être remonté, sans trop d’obstacles, même par des bâtimens d’un fort tonnage, jusqu’à l’extrémité du Ssé-tchouen. Dans le haut de son cours, U reçoit de nombreux affluens, plus larges et plus profonds que nos fleuves d’Europe, et ce sont autant de nouvelles voies pour pénétrer dans toutes les directions du vaste bassin qu’il féconde. L’existence d’abondantes mines de houille ayant été constatée, il est évident que la navigation à vapeur ne tardera pas à apparaître. Enfin les observations faites par M. Blakiston confirment tout ce qui a été écrit par les anciens missionnaires, accusés de trop de bienveillance et d’optimisme, sur la fertilité du sol, sur la densité de la population, sur l’activité extrême du commerce. Voilà pour le pays.

Quant aux habitans, ils sont Chinois, bien entendu, tout aussi Chinois dans le Ssé-tchouen que sur les côtes, où nous les voyons depuis longtemps, c’est-à-dire que dans leurs coutumes comme dans leur costume ils nous paraissent singuliers et passablement grotesques. Cependant, à les envisager de près, on reconnaît que cette singularité n’existe qu’à la surface. Au fond, les Chinois sont laborieux, intelligens, tolérans même, quoi qu’on en ait dit, et s’ils ont conservé dans l’art de la guerre une infériorité vraiment ridicule dont nous avons entrepris, à nos dépens peut-être, de les corriger, ils se sont élevés très haut avant les autres peuples dans les arts de la paix. L’ignorance complète où ils sont de ce qui se passe hors de leur pays et même hors de leur province, cette ignorance