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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/400

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ma mémoire tout ce que m’avait dit l’abbé Spinetta, et ma méditation était si profonde que je ne regardai presque rien, Je me souviens seulement qu’en l’honneur de l’archange Michel, dont on célébrait la fête ce jour-là, dans toutes les bourgades que nous traversions tout le monde était en l’air ; partout de joyeux attroupemens et des concerts de cloches en branle. Je me souviens aussi qu’au sortir de Marino, en traversant un bois, je fis rencontre d’une trentaine de belles filles vêtues de blanc et la tête ornée de voiles de dentelle qui descendaient jusque sur leurs talons ; ces belles filles, se tenant par la main, occupaient toute la largeur du chemin, et, en entr’ouvrant leurs rangs pour me donner passage, elles me regardaient d’un air moqueur en mordant à pleines dents leurs lèvres rouges comme des cerises. Je me souviens encore qu’à un tournant de la route j’aperçus à ma gauche, au fond d’un cratère arrondi, un beau lac d’un bleu sombre, et à ma droite, au bas d’un ravin, un troupeau de plusieurs milliers de moutons défilant devant un fattore à cheval qui les passait en revue d’un air grave, tandis qu’à l’horizon la mer dorée par le soleil couchant semblait en feu.

Quand j’eus dépassé Castel Gandolfo, le bruit qui se faisait autour de moi me réveilla tout à fait. La route était encombrée de piétons, de cavaliers, de brillans équipages, de petits bourgeois en goguette galopant sur des ânes, de contadines aussi belles que celles de Marino, et comme elles vêtues de blanc, mais portant sur leur tête, au lieu de voiles, ces serviettes posées à plat que les peintres ont rendues célèbres. Ce n’était que cris de joie, chansons et chansonnettes, risées, œillades agaçantes, folâtres querelles. L’archange Michel devait être content, on s’appliquait à chômer sa fête. Aux abords d’Albano, on suit une avenue ombragée de chênes antiques dont quelques-uns projettent au travers de la chaussée d’énormes racines qui embarrassent le passage. Périssent les grands chemins plutôt qu’un vieil arbre ! c’est un adage romain. L’un de ces chênes, crevassé, vermoulu, s’est gauchi et déjeté d’une si étrange façon que son tronc, presque horizontal, menaçait de s’écrouler dans le champ voisin. Pour prolonger ses jours menacés, on est allé chercher dans la villa de Pompée un vieux fût de colonne brisé qu’on lui a donné pour étai, et « ces deux grands débris se consolent entre eux. » Dans un pays gouverné par des vieillards, ce grand amour pour les vieilles choses n’a rien de surprenant, j’ajoute qu’il n’a rien qui me choque ; j’aime le progrès, mais j’aime aussi beaucoup les vieux arbres.

Le lendemain, je me rendis de bonne heure chez le prince ; je le savais fort matineux. J’arrivai trop tard ; dès cinq heures, il était parti à cheval pour Némi. Je loue un guide et un âne, et je me mets