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de recourir à son grand et unique moyen, le tapage charivarique, la mascarade des noms contemporains. Là où il ne met point de noms, M. Veuillot écrit des satires d’une désespérante infériorité ; là où la personnalité des hommes est mise en scène, là où il peut prodiguer l’apostrophe et la caricature, M. Veuillot se retrouve un peu lui-même, superbe dans l’insulte, faisant de chaque vers un outrage, n’épargnant ni les morts ni les vivans, et ne reculant pas même: parfois devant quelque allusion où l’équivoque touche à l’obscénité.

Les morts, dis-je, ont leur part dans cette distribution nouvelle d’aménités. M. de Cavour est mort, n’importe ; le fiel n’est point épuisé pour lui. Le voilà dans les Satires « Lrostrate et Judas ! » Il est vrai que dans le Parfum de Rome il était déjà « un faquin, » un homme sans honneur et sans Dieu. Et le physique ! Oh ! M. Veuillot est sévère pour le physique ! Quel extérieur que celui de M. de Cavour ! « Quelle sorte de mérite voulez-vous qui se cache sous cette sorte de figure !… Quelles jambes, quel torse, quelles lunettes, quelles bajoues ! » C’était pourtant d’un homme, couché de la veille dans le sépulcre que M. Veuillot parlait de ce ton de rapin dépaysé dans la politique ! Et Gustave Planche est mort aussi, il aurait bien droit au repos dans la tombe : n’importe encore, M. Veuillot éprouve le besoin d’aller remuer la toilette de Planche, de jouer avec les négligences de sa personne, de mordre cette intégrité d’esprit et de conscience qu’il portait dans la critique. Les plaisanteries de M. Veuillot, il faut l’en prévenir, ne sont ni plaisantes ni neuves, et ses sentences littéraires sont rédigées dans un style raboteux qui prouve plus d’exercice dans la diffamation que dans l’art poétique. Au fond, il y a peut-être une raison dans cette haine qui s’assouvit aujourd’hui contre un mort. On raconte qu’un jour M. Veuillot, tout fier d’avoir enfanté un poème épique, le poème des Filles de Babylone qui accompagne les satires et les épitaphes, voulut le publier dans la Revue. Le directeur, trouvant déjà le morceau dur, mais par scrupule ne voulant pas trop se fier à son propre jugement, eut l’idée de demander conseil à Gustave Planche, qui ne se cacha pas pour dire que les vers étaient mauvais, qui fit mieux que le dire, qui le prouva, et on peut voir aujourd’hui si son sens critique était en défaut. Le directeur rendit donc les vers, non d’une façon blessante, mais avec des observations dont l’auteur parut lui savoir gré dans le moment. Le directeur vit M. Veuillot si bien disposé qu’il lui avoua que ses observations étaient en partie le résumé de l’opinion de Planche. M. Veuillot se tut, il lâche aujourd’hui sa bordée, sur une tombe ! Le bouquet a tardé, mais il est venu. En fait de goût et de décence, si l’on veut avoir la mesure de l’auteur des Satires, on n’a qu’à lire les cinq vers sous ce titre : Une Muse ! Je ne sais de qui il