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matin du 19 octobre, pendant que l’armée française défilait entre la ville et les faubourgs, le duc de Bassano vint, vers huit heures, trouver le comte d’Einsiedel pour lui faire part des vues de l’empereur sur la situation politique de Frédéric-Auguste, et pour lui laisser trois ordres chiffrés adressés aux commandans français à Dresde, Torgau et Wittenberg. À neuf heures environ, l’empereur lui-même arriva pour faire ses adieux à la famille royale. Son attitude extérieure était parfaitement calme, et pendant sa conversation avec le roi il par la fort peu des rapports avec les alliés ; il dit seulement que le roi serait requis et forcé de se tourner contre lui, que sa majesté aurait peut-être mieux fait de le suivre jusqu’à Weissenfels, pour engager de là ses négociations avec les puissances coalisées ; d’ailleurs il donna l’assurance à la reine qu’il reviendrait et qu’il la reverrait à Dresde, et il lui manifesta par les plus fortes expressions son étonnement de la défection de son frère, le roi de Bavière, défection qu’il venait d’apprendre, et qu’il méditait de punir quand le temps serait venu. À son départ, il passa, encore à cheval devant le front du bataillon de la garde qui se trouvait sur la place du marché, et déclara aux troupes qu’il leur confiait la garde du roi son allié. » Ainsi se termina un des actes de la grande tragédie de Leipzig.

On sait quelle cause d’incertitude et de trouble ce fut pour les négociateurs du congrès de Vienne que la question de savoir comment ils devraient disposer des états du roi de Saxe. La Russie voulait la Pologne, et la Prusse voulait Dresde ; mais l’Autriche n’entendait pas qu’on livrât à ces puissances les défilés, de la Bohême, dont le grand Frédéric et Napoléon avaient signalé la haute importance, et elle se montrait, ou peu s’en faut, prête à recommencer une guerre pour empêcher ce qu’elle appelait une double usurpation fort désastreuse. D’autre part, les états allemands de second ordre ne pouvaient de gaité de cœur abandonner la cause de la Saxe, avec laquelle se confondait la leur, et ils déclamaient avec vivacité contre ce qu’ils appelaient l’avidité de la Prusse, la tyrannie de la Russie, la faiblesse de l’Autriche. L’Angleterre, de son côté, ne devait pas être d’humeur à laisser la Russie et la Prusse se fortifier outre mesure, et Louis XVIII enfin souhaitait de faire quelque chose pour son cousin le roi de Saxe. L’écho de ces craintes, de ces désirs, nous est livré dans certaines lettres de Frédéric-Auguste, du prince Antoine, son frère, et de Louis XVIII lui-même, publiées pour la première fois. Les nombreux détails relatifs à la question saxonne pendant le congrès y sont clairement déduits, et c’est tout un grave épisode d’histoire diplomatique qu’on expose ainsi.

Une fois le sort nouveau de la Saxe fixé, le comte d’Einsiedel se livra aux soins de l’administration intérieure avec une attention dévouée, et il ne fut détourné de sa tâche patriotique que par un petit nombre d’affaires extérieures. On lira avec intérêt parmi ces dernières les difficultés que lui suscitèrent la présence à Dresde d’un jeune libéral français, devenu depuis un homme d’état et un philosophe illustre, son arrestation dans la matinée du 14 octobre 1824, son extradition demandée par la Prusse, et la petite émeute qui, dans les rues de Dresde, voulut s’opposer à la condescendance obligée du cabinet saxon en cette circonstance envers le gouvernement prussien.