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électeurs qui ont des intérêts analogues à ceux que comporte sa situation nouvelle; comme il aurait changé de condition de fortune, il changerait de catégorie électorale de plein droit, sans demander la permission à personne. Dans le vote universel, mais divisé, se retrouverait naturellement la part plus ou moins grande de chaque fraction sociale existant de fait dans le pays. Ce serait, quant aux élections, une véritable institution mixte, et les chambres résultant de ce système se plieraient aussi bien que toute autre combinaison gouvernementale aux variations de prépondérance et de restriction des influences parlementaires.

Si le suffrage universel imparfait n’est ni un maître prévoyant ni un serviteur toujours docile, c’est au moins une puissance réelle et franche; en faire l’essai consciencieux est l’œuvre de notre temps. Le gouvernement par les masses a, comme toute autre forme politique, ses difficultés et ses inconvéniens; mais, lorsque nous parlons de division électorale, ce n’est point dans l’idée d’affaiblir l’institution du suffrage universel d’après l’ancienne maxime : diviser pour régner. Au contraire, le but de notre proposition serait de fournir au pouvoir central la faculté de diviser pour moins régner, et s’il est opportun aujourd’hui de s’occuper spéculativement de représentation et de votes, supposons un instant que le suffrage universel ne soit pas le suffrage de la foule, mais celui des élémens distincts et égaux du peuple entier; ne pourrait-on alors, afin de reproduire par le système électif l’image fidèle de la société, adopter la division qu’on s’est proposé de tracer ici, comme esquisse rapide des forces vives du pays : c’est-à-dire d’abord l’intérêt agricole et celui de la propriété, représenté par tout individu, riche ou pauvre, possédant une terre ou une maison, ainsi que par tout fermier payant un bail; ensuite l’intérêt commercial, industriel et maritime, choisissant ses députés à part; puis l’intérêt ouvrier mieux groupé, ayant comme les autres, en proportion de sa force numérique, ses députés spéciaux; enfin l’intérêt intellectuel, littéraire et moral[1], embrassant tout ce qui, sans propriété et sans fortune indépendante, vit chez nous des professions libérales.

Sans s’arrêter aux difficultés de détail, que résoudrait peu à peu l’expérience, à supposer qu’un tel système fût jugé admissible[2], ne pourrait-on prétendre que le pays serait ainsi réellement représenté, et trop réellement peut-être au gré de quelques-uns?

Les premières épreuves de l’extension illimitée du privilège électoral

  1. Chacun sait qu’en Angleterre les universités de Cambridge et d’Oxford nomment à la chambre des communes des représentans particuliers et spéciaux.
  2. Nous partageons les doutes exprimés par l’honorable écrivain au sujet même des opinions toutes personnelles qu’il expose; mais il est dans les traditions de la Revue d’accueillir volontiers les études élevées et sincères comme celle-ci. (N. du D.)