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États-Unis, a fait monter à un chiffre tellement exorbitant les impôts locaux[1]).» Comme ce sont les représentans qui votent les impositions, si le suffrage est emporté par la seule force du nombre, celui-ci est tout puissant pour dépenser l’argent d’autrui. Or, tant qu’on admettra les droits de la propriété, il faudra bien admettre aussi qu’il doit y avoir une part d’influence et de direction plus forte sur l’emploi des revenus du pays pour ceux qui en fournissent les élémens. C’est ce qui au reste est appliqué parmi nous pour les dépenses communales, à la fixation desquelles concourent dans une égale proportion les plus imposés de la commune réunis aux membres du conseil municipal. Ce principe accepté, bien qu’obscur et modeste, pourrait, s’il était développé, amener de grandes conséquences ; en effet, chacun de nos droits exercés nous impose un devoir, et chaque devoir accompli nous donne aussi un droit corrélatif.

Jusqu’à présent, l’axiome du suffrage universel se réduit à ce raisonnement : j’existe, donc je vote. Sans trop s’écarter du droit matériel de l’existence qu’on prend pour base, sans trop manquer à l’esprit de l’axiome, on pourrait ajouter ceci : Je paie, donc je vote, et comme j’existe aussi, il faut donc qu’on me fournisse, comme citoyen imposé, le moyen de peser d’un double poids dans la balance électorale : au double titre premièrement de représentant d’une partie de la richesse publique et privée qui paie, secondement de représentant d’une existence individuelle. Nous avons en effet deux espèces d’impôts, l’un qui s’applique à tous, l’autre qui ne pèse que sur quelques-uns; on pourrait donc soutenir à la rigueur qu’en fait d’influence il faudrait que chacun en eût pour son argent. Les impôts indirects et de consommation sont, il est vrai, supportés par tout le monde; mais celui qui paie l’impôt foncier, les prestations et les patentes, n’est pas moins soumis qu’un autre aux charges indirectes : il acquitte par conséquent double imposition. Nous n’avons à traiter ici ni de la nature ni de l’assiette de l’impôt, et, quels que soient les changemens successifs que dans l’avenir puissent amener des théories nouvelles sur l’impôt, le présent seul nous occupe. Il faut être de son temps, bien qu’on soit démocrate, et si l’on ne peut établir une exacte relation entre l’influence politique et les charges supportées, encore faudrait-il au moins chercher une sorte de prudente proportion. Le suffrage universel, en dehors de l’application actuelle, se prête-t-il à d’autres combinaisons que celles du vote à deux degrés, ou du vote plural et gradué, recommandé par M. Mill pour éviter les inconvéniens de la foule? La grande et simple division des intérêts avec égalité entre eux ne serait-elle pas préférable

  1. M. Stuart Mill, page 199.