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l’authenticité des Évangiles, celle de leurs diverses dates et de leurs divers esprits, celle même de savoir si la légende de Jésus, en entrant aujourd’hui solennellement dans l’histoire, n’y entre pas trop chargée encore de poésie et d’illusion, ces questions ne manquent, je le crois, ni d’intérêt ni de gravité ; mais elles sont secondaires en comparaison de ce grand fait, la vie de Jésus écrite pour la première fois par un esprit capable de la comprendre et de la sentir, par un artiste assez exquis pour la rendre. Voilà un livre où le christianisme et l’homme dont il est sorti s’expliquent devant nous et nous rendent compte d’eux-mêmes comme le feraient tout autre événement et tout autre homme ; le surnaturel et le mystère sont absolument écartés ; notre raison seule est appelée à juger et à mesurer ce qu’elle étudie. Voilà un livre aussi qui ne s’en tient pas dans cette étude aux actes et aux paroles, et à l’histoire du dehors, mais qui sait atteindre jusqu’à l’âme, sans que le sentiment ait jamais rien de si délicat, de si exalté ou de si profond, qu’il échappe à l’amour que l’écrivain a pour son héros et pour ce qu’il aime plus encore que son héros même, je veux dire l’idéal, l’idéal dans les choses du cœur. Voilà un livre enfin où l’imagination et le style suffisent au sujet ; ce style a une magie qui fixe pour nous, non pas l’histoire seulement, mais le rêve, et nous fait vivre en certaines pages dans ce paradis insaisissable où les âmes dont on nous parle ont vécu à certains jours ou à certains momens. Tout cela est du plus grand prix, et si ma critique en a fâcheusement distrait le lecteur, il n’est que juste, en finissant, qu’elle l’y ramène et l’y replace.

Cette imagination, puissance et charme de l’ouvrage, est ce qui m’a fait m’en défier quelquefois. Je sais néanmoins ce qu’elle vaut, et je n’en méconnais pas l’action bienfaisante. À l’exception de ces traits chagrins contre les Juifs, il n’y a guère de pages où je ne fusse près de regretter quelque chose parmi les idées mêmes que je combats. Elles donnent à l’âme des agitations et des secousses qui peuvent être salutaires, elles nous empêchent de nous endormir dans le médiocre et le convenu. J’ai réclamé quelquefois pour ce qui me semblait la vérité ou la justice ; mais si je sentais jamais autour de moi ou en moi la vérité devenir banale ou la justice étroite, je m’échapperais volontiers du côté où s’envole la pensée de M. Renan.

Je ne veux pas finir sans signaler certains endroits du livre où la personne de l’auteur paraît plus à découvert : d’abord cette dédicace si touchante, d’une poésie à la fois étrange et irrésistible ; puis des traits jetés çà et là, comme celui-ci : « Ce sommet de la montagne de Nazareth, où nul homme moderne ne peut s’asseoir sans un sentiment inquiet sur sa destinée, peut-être frivole, Jésus s’y est assis