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trouver à reprendre en lui. À l’âge où l’on se plaît aux aventures, il s’était laissé entraîner à des erreurs dont il ne devait pas tarder à revenir. Dans une longue lettre qu’il écrivit à Scipion Gonzague deux mois après être entré à Sainte-Anne, il reproche amèrement à ses ennemis d’avoir fouillé avec acharnement dans son passé pour s’armer contre lui des erreurs oubliées de sa première jeunesse, et, s’il reconnaît qu’il a eu des doutes, il déclare que depuis longtemps il avait su s’en guérir.

« Il fut un temps, ô mon Dieu, s’écrie-il, où, plongé dans les ténèbres de la chair… je ne te connaissais que comme le principe éternel et immobile de tous les mouvemens et comme un maître qui se contente de pourvoir à la conservation du monde et des espèces ; mais je doutais si tu avais créé le monde, je doutais si tu avais doté l’homme d’une âme immortelle, et si tu étais descendu sur la terre pour t’y revêtir d’humanité… Toutefois il me fâchait de douter, et volontiers j’eusse banni de telles pensées loin de mon intelligence, avide des hautes et souveraines recherches ; volontiers je l’eusse réduite à croire sans répugnance tout ce que croit et enseigne sur toi ta sainte église catholique romaine. À la vérité, Seigneur, je le désirais moins par amour pour toi et ton infinie bonté que par une certaine crainte servile des peines de l’enfer, car souvent retentissaient dans mon imagination troublée les trompettes angéliques du grand jour des peines et des récompenses, et je te voyais assis sur les nuées, et je t’entendais dire (ô paroles pleines d’épouvante) : Allez-vous-en, maudits, dans les flammes éternelles ! Cette pensée était si forte en moi que parfois je ne pouvais m’empêcher de m’en ouvrir à quelque ami, et, vaincu par cette terreur, je me confessais et je communiais aux temps et de la façon que prescrit ton église. »

Cependant le Tasse avait, si j’ose ainsi parler, le cœur naturellement catholique. Il écrivait un jour au neveu du pape Grégoire XIII, le marquis Giacomo Buoncompagno, que les pères jésuites qui l’avaient élevé l’avaient fait communier avant l’âge de neuf ans, et lorsqu’il ignorait encore que le corps du Christ se trouve réellement dans l’hostie. Et néanmoins, ému d’une secrète dévotion, il devina le sacré mystère à la joie étrange qu’il sentit couler en lui. Un cœur ainsi fait ne peut être longtemps infidèle à Dieu ; le doute ne s’enracine que dans les âmes dont il se sent secrètement aimé. Au temps même de sa mécréance, le Tasse, — c’est lui qui nous l’apprend, — souhaitait le triomphe de la foi catholique dans le monde avec une indicible ardeur, con affetto incredibile. Il implora la grâce divine, qui ne fut pas sourde à ses prières. « Peu à peu, fréquentant les saints offices, récitant chaque jour des oraisons, ma foi allait s’aller-