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ancien port ne sont pas encore perdus. Actuellement l’aspect des lieux ne semble pas, au premier abord, confirmer la tradition, et bien des géographes se sont demandé comment des étangs situés à 12 ou 13 mètres au-dessus du niveau de la mer, et séparés d’elle par une chaîne de dunes large seulement de 4 kilomètres, auraient pu former un courant navigable en dépit de cette énorme pente de 3 mètres pour 1,000. Cependant il ne faut pas oublier qu’avant les empiétemens modernes des sables, les étangs se trouvaient à un niveau de beaucoup inférieur, et que le courant pouvait en conséquence descendre vers la mer par une pente très faible. Les mêmes dunes qui ont oblitéré les chenaux de communication ont aussi élevé les étangs en les poussant constamment devant elles.

Parallèlement à la chaîne des étangs, et non loin de la rive orientale, s’aligne une rangée d’oasis cultivées au centre desquelles se trouvent de petits villages, Lège, Le Porge, La Canau, Carcans, Sainte-Hélène, Hourtin, Vendays. Ces localités forment, avec les bourgs du Médoc et les villages de la Leyre et du bassin d’Arcachon, une espèce de triangle autour du plateau bombé des landes du Médoc. Dépourvus naguère de tout moyen de communication autre que les sentiers de la lande rase, habités presque uniquement par une population de pêcheurs, les villages du littoral des étangs constituaient un district à part, bien peu connu du reste de la France. Néanmoins il fut un temps où ces pauvres groupes de maisons, presque perdus dans le désert, étaient périodiquement visités par de nombreux voyageurs. C’était après le IXe siècle, pendant les plus mauvais jours du moyen âge, alors que les paysans opprimés, écrasés d’impôts, poussés au désespoir, allaient chercher d’église en église quelque saint puissant qui voulût les prendre sous sa protection. Grâce aux innombrables miracles que les fervens Espagnols lui attribuaient, saint Jacques de Compostelle, ainsi nommé parce qu’une étoile avait fait découvrir son tombeau (campus stellœ), fut longtemps le saint le plus vénéré de tout le midi de la France. Chez nos vieux paysans qui n’ont pas perdu la tradition des anciens jours, le nom de saint Jacques vient se placer immédiatement après celui de Rome, et pour eux la voie lactée est encore ce mystérieux chemin que suivaient les anges en volant au-dessus des pèlerins. Les fidèles se rendaient en foule à Compostelle comme à une Mecque chrétienne. Saintongeois et Poitevins se réunissaient parfois en bandes considérables, et descendaient vers le midi en demandant de ville en ville le chemin de la Galice. Arrivés au bord de la Gironde, ils se divisaient en plusieurs caravanes. Les uns traversaient le fleuve au-dessous de Pauillac et s’engageaient dans la triste lande où les attendait la maigre hospitalité des paysans de Vendays, d’Hourtin