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qui tombaient parfois dans les broussailles parmi des masses confuses de feuilles mortes et de branches sèches. Il s’entendait merveilleusement à prendre les lézards avec ses mains, et surtout à grimper aux arbres. Les palmiers les plus lisses ne lui offraient que peu de difficultés : il prenait quelques brassées de flanc, à la fois solide et flexible, dont il entourait ses pieds, fixés ainsi sur la tige glissante, puis, par une succession de légers élans, il s’élevait assez vite jusqu’à la cime. Je m’amusais, pendant les premières semaines, de la joie orgueilleuse qu’il manifestait en me rapportant les régimes de fruits cueillis par lui sur des arbres presque inaccessibles. Il évitait la compagnie des garçons de sa race, et tirait évidemment quelque orgueil de sa position servile auprès d’un véritable homme blanc. Nous le ramenâmes avec nous à Pará ; mais aucun des spectacles de la ville, si étrangers qu’ils lui fussent, ne lui causa la moindre émotion. Il vit d’un œil impassible les bateaux à vapeur, les vastes édifices, les voitures attelées, la pompe des cérémonies religieuses, etc., manifestant en ceci les sentimens obtus de l’Indien et sa disette de pensée. Il n’en avait pas moins des perceptions très subtiles et une grande facilité pour apprendre tous les arts mécaniques. José, qui avait repris quelque temps avant mon départ définitif son ancien métier d’orfèvre, l’employa comme, apprenti et lui fit faire de rapides progrès, car après trois mois de leçons l’enfant vint un beau jour, tout radieux, me montrer un anneau d’or qu’il avait fabriqué.

« Le sort de la petite fille, arrivée, avec un second convoi d’enfans tous en proie à la fièvre intermittente, un mois ou deux après Sébastien, ne fut pas à beaucoup près aussi heureux. On nous l’avait amenée, débarquant à peine, par un soir de la saison humide où la pluie tombait à torrens. Effarouchée et maigre, trempée jusqu’aux os, frissonnant de fièvre, elle donnait la main à un vieil Indien qui nous dit en termes brefs, une fois la porte ouverte : Ecui encommenda (voici votre commande !), et s’éloigna tout aussitôt. Elle était d’une couleur bien plus claire que le garçon, et son aspect général n’offrait presque rien de sauvage. Informations prises, nous découvrîmes qu’elle appartenait à la tribu des Miranhâs, qui se reconnaissent à une fente pratiquée sur chaque narine et dans laquelle ils insèrent, les jours de fête, un gros bouton d’écaille de rivière aux nuances nacrées. Nous prîmes le plus grand soin de notre petite malade ; les meilleures gardes de la ville furent appelées à la soigner ; c’étaient tous les jours des fomentations ; nous la gorgions de quinine et de la nourriture la plus substantielle : tous ces soins demeurèrent inutiles. Elle s’affaiblissait à vue d’œil ; son foie, énormément enflé, restait presque aussi dur qu’une pierre. Il y avait dans ses façons quelque chose de particulièrement agréable, et qui ne me rappelait rien de ce que j’avais rencontré jusqu’alors chez les populations indiennes. Au lieu de leur mélancolie taciturne, la jeune malade souriait et causait sans cesse. Nous avions pris pour la soigner une vieille femme de la même tribu, qui servait en même temps d’interprète entre elle et nous. Elle priait souvent qu’on la menât baigner à la rivière, demandait des fruits, et se faisait volontiers des jouets avec tous les menus objets qu’elle apercevait çà et là par la chambre. Son nom indigène était