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ser reposer les rameurs fatigués, et j’eus le temps d’y ramasser quelques plantes de nos plaines et de nos montagnes, qui atteignent dans cet îlot leur limite septentrionale.

En quittant Rolfsoe, nous nous dirigeâmes vers l’est pour traverser le Havoe-Sund, étroit chenal qui sépare l’île de Havoe de la dernière pointe du continent européen. Un marchand, M. Ulich, dont le père avait reçu le roi Louis-Philippe pendant son voyage en Laponie, demeure seul sur cette île solitaire. Sa maison, blanche avec des contrevents verts, est entourée de prairies et assise sur une petite éminence qui domine le rivage. De nombreux magasins bordent la mer, et les navires des pêcheurs viennent y débarquer leur poisson et prendre en échange des denrées de toute sorte. A l’entrée du détroit se trouve une jolie église où des prédicateurs ambulans célèbrent le culte luthérien pour les habitans d’alentour. Ceux-ci viennent en bateau des points les plus éloignés de l’archipel, assistent à l’office divin, causent de leurs affaires, et malheureusement aussi s’enivrent de liqueurs fortes. Ces églises et ces maisons de marchands, isolées sur une île éloignée ou sur un promontoire désert, surprennent toujours le voyageur qui visite la Norvège pour la première fois. On ne comprend pas à quel commerce peut se livrer un marchand qui habite la solitude; mais ce marchand est, comme l’église, le centre commun de ces populations éparses. Les Lapons, pasteurs et nomades, errant pendant l’été sur la côte et dans les îles voisines avec leurs troupeaux de rennes, lui apportent les peaux et les cornes des animaux qu’ils ont sacrifiés pour se nourrir. Des Lapons sédentaires et pêcheurs, habitant au fond d’un fiord reculé, où ils vivent du produit de leur pêche, en vendent le surplus. Les Queens, ou métis de Lapons et de Finlandais, servent d’ouvriers. Les Russes qui viennent d’Archangel faire la pêche dans les eaux du Spitzberg et du Cap-Nord, et les Norvégiens qui se livrent à la même industrie trafiquent avec lui. Ces marchands, dispersés sur la côte, achètent le poisson en détail et l’envoient aux négocians de Hammerfest et de Bergen, qui expédient des cargaisons de morue sèche dans toutes les parties du monde. De son côté, le négociant de l’île de Havoe pourvoit aux besoins des pauvres populations qui l’environnent, et leur vend tous les objets nécessaires à leur vie nomade.

M. Ulich n’avait rien négligé pour embellir sa, solitude; il cultivait un petit jardin où il me montra des choux frisés, des choux-raves fort beaux, des pois qui avaient 3 décimètres de haut et donnent quelquefois des gousses mangeables, des carottes dont les racines atteignent la grosseur de l’index, des betteraves qui acquièrent le même volume, des laitues, du cresson et des choux-fleurs qui réussissent tous les six ans environ. On ne s’en étonnera pas