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Constantinople ou à Athènes, » ajoutant : « Il n’y a pas à craindre de nous engager trop loin dans cette voie, puisque, quand il s’agira de passer à l’exécution, on reconnaîtra bien vite qu’elle est impossible[1]. » Est-on bien venu à accuser la politique de ses adversaires d’être insidieuse, lorsqu’on agit ainsi soi-même?

Enfin le lecteur le moins versé dans l’histoire du XVIIIe et du XIXe siècle pourra-t-il s’empêcher de sourire en trouvant sous la plume d’un ministre anglais ces lignes qu’il faut bien citer : « Je dois, à l’appui de ce que j’avance, appeler votre attention sur la conduite de la France, fidèle à son système constant de chercher pour elle-même des avantages indirects dans les difficultés qu’elle peut créer à autrui[2] ? »

Il est vrai que cette fois encore c’est M. Harris qui se chargera de répondre pour nous. Rendant compte au cabinet anglais des intrigues de Frédéric II en Suède et de son dessein de se faire céder ou vendre la Poméranie suédoise, « ce serait, dit-il, une belle occasion d’exciter la jalousie de la cour de Russie en y faisant faire d’adroites insinuations sur l’immixtion probable du roi de Prusse dans les affaires de Suède, insinuations qui pourraient s’appuyer du voyage du prince Henri son frère à Stockholm et de la visite de la reine douairière de Suède ici. J’ai pris sur moi d’écrire dans ce sens à M. Gunning[3]. »

Il serait facile de multiplier les citations de ce genre; nous n’y trouverions ni utilité ni plaisir. Il était nécessaire de montrer avec quelle sévérité injuste lord Malmesbury jugeait la France et de quelle haine il la poursuivait. Ce but est atteint, et nous allons désormais suivre sur le continent le négociateur anglais sans avoir besoin de renouveler nos protestations chaque fois qu’il nous en fournirait l’occasion.


II.

En 1767 et 1768, avant son entrée dans la carrière diplomatique, M. Harris, alors âgé de vingt et un ans, fit un voyage en Prusse et en Pologne. Son journal commence à son arrivée à Berlin. Il ne contient guère sur la Prusse que quelques anecdotes curieuses, dont plusieurs toutefois sont déjà connues. Quant à Frédéric II, M. Harris nous en parlera avec plus d’intérêt lorsque nous le verrons, quelques années plus tard, revenir à Berlin comme ministre d’Angleterre. On ne s’arrêtera donc pas longtemps sur cette époque de sa

  1. Lettre du 4 juin 1779, t. Ier, p. 204.
  2. Dépêche du comte de Suffolk à M. Harris du 9 janvier 1778, t. Ier, p. 136.
  3. Ministre d’Angleterre à Saint-Pétersbourg.