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Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 46.djvu/971

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pâte, de la rendre molle et spongieuse au moyen du levain. Il a suffi pour cela que des résidus de pâte déjà aigrie fussent introduits dans un pétrissage nouveau : ils y déterminaient un gonflement, phénomène étrange sur lequel on dut réfléchir. Le jour où la fermentation et la cuisson furent arrêtées à des degrés convenables, on s’étonna d’obtenir un aliment léger, savoureux et appétissant dans sa fraîcheur. Le vrai pain fut inventé.

L’humanité paie cher ses conquêtes, et d’autant qu’elles sont plus précieuses. Représentons-nous ce qu’était dans l’origine la trituration des grains, d’abord à la main, avec des cailloux, entre des rouleaux de pierre, avec des pilons grossiers dans des mortiers, et enfin avec des blocs de granit tournés à bras! C’était la besogne du criminel, de l’esclave, et à leur défaut des femmes de la maison. Que de larmes répandues, que d’existences dévorées dans ce rude labeur! Heureux quand le broyeur n’avait pas la tête passée dans une planche percée, afin que le pauvre affamé ne pût pas porter à sa bouche une poignée de farine! Il fallait alors user beaucoup d’ouvriers pour alimenter peu de gens. A coup sûr, l’usage du pain, exigeant une somme énorme de travail pour la culture et la mouture, a grandement contribué à l’organisation des castes en Asie et au développement de l’esclavage en Occident. Les machines, rendons-leur en passant cette justice, sont venues, trop lentement sans doute, pour soulager l’humanité d’une partie de son fardeau. Après les manèges à ânes ou à chevaux, il a fallu attendre les moulins à eau pendant des siècles : essayés, à l’état de curiosité dans l’Asie-Mineure, sous Mithridate, ils ne devinrent usuels, dans l’Occident, que sous le règne d’Honorius et d’Arcadius. Sans être inconnus en France, ils ne s’y multiplièrent qu’après Charlemagne et par l’impulsion de ce grand homme. Le moulin à vent est d’invention asiatique. Les premiers croisés le contemplèrent avec ébahissement : toutefois on ne trouve pas trace de son introduction en France avant l’année 1105. Rien de semblable à nos bluteaux n’accompagnait les meules : le grain, grossièrement concassé, était nettoyé à la main avec des tamis.

Le plus ordinairement, le pain était fait dans chaque famille, comme les autres alimens; toutefois, dans les principaux centres de civilisation, il devint l’objet d’un métier spécial. Les Grecs s’y rendirent habiles, et à cet égard comme pour tant de choses sublimes ils firent l’éducation des autres pays. A Rome, sous Auguste, on compta 329 boulangeries, presque toutes tenues par des Grecs. C’étaient des artistes qui sacrifiaient beaucoup à la fantaisie, et faisaient des gâteaux plutôt que du pain. Autour d’eux s’étaient groupés des artisans vulgaires : ces meuniers, pour qui Plante a