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dans les provinces, que les historiens les ont résumés sous le nom de guerre des farines. Pour comble de malheur, les courtisans soutiennent que le pain doit être abaissé à 2 sous la livre, pour populariser le nouveau règne. Sartines taxe donc le pain au-dessous du cours naturel. Berthier de Sauvigny, devenu intendant de Paris, met la maréchaussée en campagne pour forcer les cultivateurs à encombrer les marchés. Le blé tombe à vil prix en 1774, mais il fait défaut l’année suivante, et alors éclate, le 3 mai 1775, la plus formidable émeute pour le pain dont les Parisiens aient souvenir. L’autorité, voyant venir l’orage, concentre des troupes dans les marchés, mais elle laisse les boulangeries sans défense ; elles sont toutes pillées, une seule exceptée. Pendant quelques jours, la cour est stupéfaite et comme paralysée de terreur. Louis XVI veut qu’on vende le pain à 2 sous, et signe un ordre qui heureusement n’est pas publié. Le peuple, après son accès de colère, était retombé dans son impassibilité habituelle. Alors la cour reprend courage. On décide qu’un peu de pendaison sera d’un bon exemple : deux cents individus environ sont arrêtés à leur domicile d’après les notes que les agens de police avaient prises silencieusement pendant l’émeute. Une cour prévotale est improvisée ; deux des détenus, un gazier et un perruquier, sont condamnés sommairement à être pendus. Des potences de dix-huit pieds sont élevées aussitôt sur la place de Grève ; les malheureux qu’on y conduit font retentir le quartier de leurs cris désespérés. « Lâches que vous êtes, crient-ils au peuple, nous mourons pour vous ! » Quels souvenirs laissés dans les esprits !

Il est rare que le mal ne soit pas compensé par un peu de bien. Au point de vue spécial de la technologie, l’entreprise de Malisset a laissé des traces utiles. Les règlemens qui paralysaient la meunerie, étant inconciliables avec le nouveau système, tombèrent en désuétude. Vers 1780, presque tous les moulins des environs de Paris étaient outillés pour la mouture économique avec des perfectionnemens indiqués par Baquet, meunier de Senlis. Le rendement devint plus fort ; la farine, plus blanche, plus riche en gluten, donnait plus de pain. Une économie considérable était réalisée sur la consommation de Paris. Les grands meuniers devenaient peu à peu ce qu’ils sont tous aujourd’hui, des négocians en farine, et ceux qui travaillaient à façon n’étaient plus payés en nature, mais en argent. La boulangerie cessa d’être un métier de routine. L’Académie des Sciences lui donna ses lettres de noblesse en faisant rédiger par le docteur Malouin un traité spécial sur cet art, ouvrage qui est encore la base de tous les travaux analogues. L’apothicaire des Invalides, Parmentier, commença sa réputation par un bon livre sur le même sujet. En 1783, une école publique et gratuite de boulange-