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tion[1]. Nous vîmes donc défiler l’imposante escorte avec laquelle le puissant prince de Fossokawa se rendait de la capitale dans sa province. Deux hommes, marchant tête nue malgré l’ardeur du soleil, précédaient le cortège ; ils criaient à de courts intervalles le mot staniero, qui annonce à la population l’approche d’un de ses maîtres. A cet appel, un silence respectueux se fait de toutes parts : les travaux s’interrompent beaucoup de maisons se ferment, et les habitans se hâtent de renter ; les bêtes de somme sont rangées sur les bords de la route, ou même emmenées au milieu des champs : les voyageurs se jettent à genoux et attendent, le front incliné jusqu’à terre, que le norimon (litière) du prince ait passé. Derrière les hérauts marchaient une quarantaine de soldats armés les uns de fusils, les autres de lances, tous les deux sabres passés dans la ceinture ; le fer des lances et les canons des fusils étaient enfermés dans de solides étuis en cuir, portant peintes en or les armoiries du prince de Fossokawa. C’est en vertu d’une loi fort sage que les armes sont ainsi enveloppées. Le Japon étant de tous les pays civilisés celui où l’usage de porter des armes est le plus répandu, on a été forcé d’adopter des mesures sévères afin de parer le mieux possible aux inconvéniens de cette dangereuse coutume. Personne ne peut dans la rue, si ce n’est dans le cas de légitime défense, tirer son sabre sans encourir les peines les plus graves : le coupage s’expose à être condamné à mort après avoir été déclaré déchu de sa noblesse. Dans le Satzouma, province du midi dont les habitans passent pour avoir le caractère ardent et querelleur, la loi se montre plus sévère encore. Si en public un homme, sous n’importe quel motif, a tiré son sabre contre quelqu’un, il ne lui est plus permis de le remettre au fourreau avant d’avoir terminé un combat à mort : d’après la loi, il doit lutter jusqu’à ce qu’il tombe ou qu’il tue son adversaire. Sort-il vainqueur de ce duel à mort, il n’est point à l’abri, s’il a été l’agresseur, de l’impitoyable loi qui le condamne à la cruelle alternative de s’ouvrir le ventre ou de subir la peine capitale. Si au contraire il a versé le sang en défendant légitimement sa vie, il n’est ni puni ni même blâmé et sa considération personnelle ne peut qu’y gagner ; mais s’il a déserté le champ de bataille sans y laisser le cadavre de son agresseur, il n’est pas jugé digne de survivre à cette honte, et il faut aussi qu’il choisisse entre une mort volontaire et l’échafaud. C’est en vertu de ces injonctions rigoureuses qui défendent en temps de paix d’exposer

  1. On sait que M. Lenox Richardson fut massacré à l’occasion de sa rencontre avec le cortège d’un daïmio ; mais il ne faut pas oublier que cette rencontre eut lieu dans un chemin étroit et encaissé, et que M. Richardson et ses compagnons, involontairement sans doute, jetèrent plus ou moins de trouble dans l’ordonnance du cortège.