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quartier entier qui est envahi par les flammes. Les travaux de sauvetage sont conduits avec activité et intelligence, mais ils sont impuissans en présence de l’élément qu’ils doivent combattre. Il faut se résigner à faire au feu une part très large, car le plus souvent rien n’est capable d’en arrêter le progrès, si ce n’est l’espace vide.

Grâce à l’active surveillance des gardiens de nuit et à l’institution bien organisée des sapeurs-pompiers, grâce à la fréquence extraordinaire des incendies qui fait que tout le monde y est habitué et connaît la manière de les combattre[1], beaucoup de sinistres sont étouffés dès leur origine. Dans le cas contraire, il y a presque toujours des catastrophes à déplorer, à moins qu’un calme complet ne favorise les travaux de sauvetage, ou qu’une pluie un peu forte n’éteigne le feu. La principale cause des incendies doit être attribuée à l’usage du brasero que l’on tient allumé jour et nuit dans la maison. La nature très inflammable des matériaux qui servent à la construction des maisons japonaises explique les grandes proportions des sinistres. On bâtit en pierre et pisé les magasins destinés aux marchandises précieuses, ainsi que les palais des daïmios et d’autres grands personnages ; mais les matériaux légers sont entassés en si grande quantité dans toutes les habitations que ces édifices mêmes ne sont plus à l’abri du feu, qui y cause de fréquens ravages. En 1859, l’ancien palais du taïkoun et celui de l’héritier présomptif furent entièrement détruits par les flammes; l’année suivante, un semblable sinistre couvrit de ruines les vastes terrains occupés à Yédo par les nombreux corps de logis dont l’ensemble constitue le palais du puissant prince de Satzouma. Pendant mon premier séjour à Yédo, en 1859 et 1860, Saï-kaï-dsi, siège de la légation française, n’échappa à une destruction complète que grâce aux courageux efforts des pompiers pour préserver ce temple, construit du reste de matériaux fort solides. M. du Chesne de Bellecourt fut obligé de chercher refuge auprès de son collègue, sir Rutherford Alcock. La malveillance des lonines pouvait n’être pas étrangère à cet accident, et on appréhendait une attaque à main armée sur la personne du représentant de la France; aussi fut-il conduit à la légation britannique sous bonne escorte. M. du Chesne de Bellecourt, en racontant plus tard les événemens de cette nuit, se plaisait à rendre justice à l’adresse et à l’activité des pompiers japonais : son déménagement avait été opéré en un clin d’œil; aucun des meubles

  1. Les maçons, charpentiers et beaucoup d’autres ouvriers sont, au nom de la loi, embrigadés dans le corps des pompiers; ils ont une grande habitude des travaux de sauvetage, et s’en acquittent avec autant de zèle que de courage. Dans chaque maison de Yédo, l’on trouve des pompes à incendie, et devant presque toutes les portes on remarque de grands cuviers remplis d’eau, et qui ne sont là que pour servir en cas de sinistre.