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s’apostrophent dans le même langage, très amusant, très animé et très bigarré, ce qui ne veut pas dire très choisi ni très correct, bien au contraire : c’est par le feu, par l’entrain du dialogue, que M. Barrière se distingue surtout. Il compose une pièce, il ne l’écrit pas.

Le style, c’est là ce qui manque à la plupart des novateurs réalistes de notre scène moderne. Si nous exceptons M. Augier, tantôt précieux, quintessencié ou gracieux, tantôt brutal avec intention, et M. Dumas fils, qui parle souvent une langue nette et ferme, tout n’est à peu près ici qu’improvisation[1]. C’est encore un improvisateur que M. Victorien Sardou, accueilli récemment comme un héritier de Scribe. Ce qui domine chez lui d’ailleurs, ce n’est pas le caractère d’initiative propre aux auteurs du Demi-Monde et du Fils de Giboyer. Préoccupé de l’intrigue avant tout, s’il a tenté la peinture des ridicules contemporains, c’est en s’efforçant de raviver des procédés vieillis par l’étude bouffonne de quelques caractères, comme dans Nos Intimes et dans les Ganaches; il en est résulté un mélange de jeux de scène, de railleries et de tirades qui pique la curiosité du public : c’est mieux qu’une œuvre de pur métier, sans être pour cela une œuvre d’art. Le souci de plaire et d’être applaudi prime, chez l’auteur, le souci d’être vrai, et jamais il ne fut moins question de mettre l’écrivain au service de chaque personnage comme un interprète scrupuleux ; c’est le personnage qui se prête au genre d’esprit et aux boutades telles quelles de l’auteur.

Pour bien montrer où en est le mouvement théâtral en 1863, il n’est pas inutile de rappeler quelle physionomie il offrait en l’année 1862. Dans les reprises qui ramènent sur la scène des œuvres chères au public ou injustement négligées, comme dans les pièces nouvelles, on suivra ainsi les expériences diverses du théâtre, indécis entre l’esprit ancien, — classique ou romantique, — et l’esprit nouveau, tout imprégné de réalisme. Au nombre des pièces tirées en 1862 du théâtre classique, il faut compter la Psyché de Corneille et de Molière, l’Indiscret de Voltaire, les Mœurs du Temps de Saurin, et Turcaret, ce pamphlet en action, ce chef-d’œuvre, où l’âpreté de la satire s’autorise de la justesse extrême des observations. Turcaret, comme le Mariage de Figaro dans un autre genre, montre ce que l’on peut faire, d’une part avec l’empreinte brûlante de la réalité, de l’autre avec cette mordante ironie alliée, dans la Folle journée, aux inspirations de la fantaisie et du sentiment. Notons, à titre de curiosité, une farce de Voltaire, le Comte de Boursoufflé, improvisée pour les hôtes de Cirey, jouée par l’auteur et par Mme Du Châtelet, donnée plus tard au public par les acteurs de la Comédie-Italienne, très vertement critiquée par Fréron, et pleine de bonne humeur, quoi qu’il dise. Les pièces romantiques ne man-

  1. Cette question du style étant posée, on comprend que nous ayons omis de ranger M. Octave Feuillet dans le groupe militant qui nous occupe. Il ne s’y rattacherait guère que par Dalia, étude éloquente d’une plaie de notre époque. L’ensemble discret de son œuvre appartient à un autre public et à d’autres succès.