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incessamment l’éternelle vitalité de l’univers. L’homme seul, en ce monde-ci, sait affirmer son existence par beaucoup de vérités et beaucoup de mensonges. Tout le reste des êtres et des choses exprime le fait de l’existence sans le comprendre. Tout ce que la terre fait dire aux innombrables voix qui émanent d’elle est donc pur et d’une logique indiscutable, puisque c’est la logique même de son ordonnance qui parle en elle. Nous, ses plus hardis enfans, nous cherchons à travers mille erreurs une affirmation raisonnée qui réponde sciemment au sens profond et divin des choses, une affirmation qui nous lie non-seulement à la planète notre mère, mais à l’univers entier notre patrie ; mais nous sommes encore loin de comprendre notre destinée sublime, tandis que le monde des êtres secondaires et des choses appelées à les constituer proclame, en dehors des combinaisons de l’intelligence, une vérité qui nous écrase par sa persistante splendeur.

« Respectons-les dans leurs profondes manifestations, ces choses et ces êtres qui ne comprennent pas Dieu comme nous le comprenons, mais qui le sentent peut-être mieux que nous ne le sentons. C’est le monde sans souillure et sans défaillance, où la mort n’est pas connue, puisqu’elle n’excite ni crainte ni désir ; c’est le monde où la lassitude, où le suicide ne sont jamais entrés, où l’erreur et l’imposture n’ont point de place et ne peuvent rien changer, rien déranger, rien retarder dans les lois de la vie. C’est le domaine de la vie elle-même dans son développement sans lacune et dans son renouvellement sans entraves. C’est la progression du grand tout qui s’accomplit à son propre insu, et dont la sainte ignorance est la base de toute sécurité dans l’univers.

« Oui, oui, petit ruisseau, tu chantes et tu parles, et ce que tu dis, tu ne peux ni ne dois t’en rendre compte à toi-même, puisque ton moi est un avec l’infini, et comme tu ne peux ni ne sais réclamer les honneurs de l’existence individuelle, c’est à nous de te la donner dans nos pensées et par nos soins. Nous te devons un nom, pour distinguer ta beauté et ton utilité particulières de celles de tous tes frères. Nous te devons de respecter l’ombrage qui protège ta source. Impie serait la main qui abattrait tes vieux chênes ou qui briserait ta roche protectrice ! Tu chantes et tu parles ; brutal et maudit serait le pied qui dérangerait ta grosse pierre et tes jolis cailloux, confidens des mystérieuses paroles de ta chanson. Nous te devons plus encore, nous t’écouterons tant que tu voudras causer avec nous, et toi, généreux sans effort et sans mérite, tu le voudras, tant qu’une goutte d’eau s’épanchera de ta petite coupe.

« Et ce que tu dis dans une langue qui n’est pas une langue ne sera jamais compris que de Dieu ou des anges ; mais l’intelligence