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« Mon but n’est pas, en vous adressant ces vers, d’enfler une page de bagatelles pompeuses pour donner, comme on dit, du poids à la fumée. Nous parlons ici seul à seul, et je ne résiste pas à ma muse, qui m’engage à vous ouvrir mon âme tout entière. Combien, mon cher Cornutus, mon doux ami, combien vous faites partie de moi-même, c’est un bonheur pour moi de vous le dire. »

………… Quantaque nostræ
Pars tua sit, Cornute, animæ, tibi, dulcis amice,
Ostendisse juvat.

Puis avec des hardiesses de style dont l’effort n’est que l’impatience impuissante qu’éprouve le poète à ne pouvoir dépeindre une amitié si particulière, si vive et si profonde, il continue :


« Frappez un peu là sur mon cœur, vous qui savez si bien distinguer ce qui sonne creux et reconnaître si de belles paroles ne décorent que le vide ; oui, je ne craindrai pas de demander ici le secours de cent voix à la façon des poètes pour dire avec la plus pure sincérité jusqu’à quel point je vous ai fait entrer dans les profondeurs de mon âme, pour exprimer par la parole tout ce que mon cœur renferme de sentimens ineffables. »

Ut quantum mihi te sinuoso in pectore fixi,
Voce traham para, totumque hoc verba resignent,
Quod latet arcana non enarrabile fibra.

Je ne sais si on trouverait ailleurs dans un auteur profane autant de grâce morale que dans les vers suivans, où Perse déclare lui-même les motifs de sa reconnaissance. Il doit son salut à son maître. A l’âge où commençaient pour lui les périls de la jeunesse et de la liberté, il a trouvé auprès de Cornutus une sollicitude tutélaire. Vers curieux et touchans d’un jeune païen que le plaisir effarouche, que l’indépendance inquiète, et qui court déposer au plus vite son âme entre des mains sûres! On n’a pas dû entendre souvent à Rome des jeunes gens s’effrayer ainsi à la vue de la charmante carrière qui s’ouvrait devant eux. Ce sont là des scrupules bien nouveaux et délicats où nous croyons reconnaître l’influence de l’éducation maternelle et de toute une famille composée, comme nous le verrons, de tout ce qu’il y avait de plus honorable à Rome :


« Lorsque, tout craintif, j’eus déposé la robe de pourpre gardienne de l’enfance et suspendu ma bulle en offrande devant les dieux lares, lorsque, entouré d’aimables compagnons, je dus au privilège de ma robe nouvelle de pouvoir promener mes regards dans le voluptueux quartier de Suburra; au moment enfin où deux chemins s’ouvrent devant nous, où l’âme incertaine et tremblante ne sait pas lequel il faut suivre dans ce carrefour de la vie, je me mis sous votre discipline, et ma tendre jeunesse fut recueillie par vous, Cornutus, dans le sein de votre sagesse socratique. »

Me tibi supposui ; tencros tu suscipis annos
Socratico, Cornute, sinu.