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minés à leur insu par toute sorte d’influences, de préjugés, de vagues frayeurs, et leurs actes sont rarement autre chose que des expédiens. Si l’on veut se faire une idée exacte de la réforme actuelle, il ne faut pas la détacher des incidens qui l’ont amenée. Reprenons donc l’histoire du pain où elle a été laissée dans la précédente étude[1], consacrée à l’ancien régime.


I.

On ne pourrait pas citer beaucoup d’exemples d’un détraquement social pareil à ce qu’on a vu sous le directoire, et cependant on ne connut pas, pendant cette période, les inquiétudes pour les subsistances qui accompagnent presque toujours le désordre politique. Le pain était abondant à Paris et s’y vendait beaucoup moins cher qu’à Londres. Il semble qu’après les sanglantes journées de prairial les conspirateurs aient renoncé à faire entrer dans leurs calculs l’odieux espoir d’affamer le peuple. Dès lors les effets économiques de la révolution se font sentir. Le morcellement des grands domaines avait livré beaucoup de terres à l’ingénieuse activité des paysans. L’enseignement théorique de l’agriculture était installé, et les bonnes méthodes se vulgarisaient rapidement. La production allait croissant et dépassait probablement les besoins. Le gouvernement, qui acceptait en paiement de l’impôt foncier des quantités considérables de grains au prix de 15 francs l’hectolitre, n’était plus forcé d’avoir recours aux réquisitions, ni de faire pour l’approvisionnement des armées une concurrence funeste au public consommateur. Enfin la spéculation sur les denrées, au lieu d’être entravée par tant d’obstacles et de périls, jouissait d’une liberté à peu près complète, et cette amélioration était sans doute la plus efficace de toutes.

À Paris, chacun pouvait fabriquer, vendre ou acheter le pain sans que la police s’en mêlât. Le nombre des boulangers était illimité et pour ainsi dire insaisissable, car il variait incessamment. Quand le blé tombait à vil prix, les boulangers forains ou même des fermiers se mettaient à cuire pour Paris, et y apportaient du pain qu’ils offraient au rabais à domicile, dans des marchés, ou même en pleine rue sur des tréteaux. Beaucoup d’ouvriers du métier s’installaient tant bien que mal, se faisaient une petite clientèle et parvenaient à gagner leur vie en manipulant chaque jour moins d’un sac de farine. Dans ces veines de surabondance, on estimait que les marchands de pain, établis ou mobiles, étaient au

  1. Voyez la Revue du 15 août.