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comique, ne craint pas de lui restituer son rang. Il aime tout chez Molière; la perfection du style, la souplesse du dialogue, la finesse du parler de la cour et là franchise du langage bourgeois; il admire l’étude profonde des caractères, la variété des physionomies, et de Tartufe à Scapin, d’Alceste à Sosie, d’Agnès à Célimène, il n’est pas une figure qui ne l’enchante dans ce monde vivant où Schlegel n’a rien voulu ou su voir. Étranges reviremens du goût ! cet hommage si complet rendu à la scène française par un shakspearien forcené est le produit d’une réaction contre cette fièvre shakspearienne à laquelle se rattachent Almansor et William Ratcliff.

C’est qu’il y avait toujours, à côté des novateurs fougueux, le maître de la beauté pure, et que Goethe n’était pas mort. Quand on voit de 1820 à 1830 les dramatiques essais d’Immermann, de Henri Heine, de Christian Grabbe, envahir tumultueusement la scène où régnait Guillaume Tell, il est impossible de ne pas se poser ces questions : qu’en pensait le grand classique de l’Allemagne, celui qui réunissait à la fois Shakspeare et Sophocle en ses vastes formules? Qu’en pensait l’arbitre des hautes élégances, le poète de Faust et d’Iphigénie? L’année même où paraissait cette folle partition d’Almansor, au mois d’octobre 1823, un des meilleurs amis de Goethe, le musicien Zelter, lui écrivait, pendant un voyage en Prusse : « Je viens de faire connaissance à Munster avec le jeune Immermann, dont j’ai lu trois tragédies. L’une d’elles m’a semblé excellente. Il m’a fait hommage d’un quatrième drame et d’un volume de vers dont je suis moins satisfait. Son talent me paraît encore trop dépendant; son amour n’est pas complètement à lui. Il est bien d’âge pourtant à produire une œuvre qui lui appartienne. Sa personne et son caractère m’ont charmé, et, comme il connaît les bons modèles, nous pouvons attendre avec confiance le développement de son inspiration. J’ai mis deux de ses poésies en musique... » Je ne trouve dans les lettres de Goethe ni réponse ni allusion même à ces paroles; seulement, Zelter étant allé voir Goethe à Weimar peu de temps après ce voyage à Munster, il ramena l’entretien sur Immermann, et Goethe, obligé enfin de se prononcer, ne fit guère autre chose que répéter le langage de son ami. « Nous verrons, dit-il, comment il se développera, s’il saura purifier son goût et se régler pour le style sur les meilleurs modèles. Sa manière originale a du bon, mais elle conduit trop facilement dans le faux... » Ces détails nous ont été transmis par Eckermann. On voit que ce groupe des Immermann, des Henri Heine, des Christian Grabbe, à la date où nous sommes, était médiocrement sympathique à Goethe. Il n’a jamais parlé des débuts de Henri Heine, bien que les scènes d’amour dans Almansor aient dû le charmer par la fraîcheur du style. C’est plus tard seulement, après le Livre des Chants et les Tableaux