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les inspirations et le ton de la comédie là où ses devanciers n’avaient su rencontrer que les gentillesses du vaudeville, et l’on peut dire par exemple de la Vie de château d’Eugène Lami ou des Grisettes d’Henri Monnier que ces amusans recueils sont aux œuvres successivement produites par le dessinateur des Fourberies des Femmes, des Masques et Visages, et de tant d’autres séries de pièces pleines de pensée, ce que dans l’ordre littéraire les Proverbes de Théodore Leclercq sont aux œuvres de l’auteur de la Comédie humaine.

On ne saurait d’ailleurs pousser fort loin la comparaison entre Balzac et Gavarni. S’ils ont l’un et l’autre le don et le goût de l’analyse, la verve, la fécondité, sur d’autres points les différences sont notables. Quelque bonne envie qu’il ait de faire acte de moraliste, bien souvent Balzac est au fond du parti des passions ou des travers qu’il condamne, des fausses grandeurs dont il semble vouloir nous montrer le néant. Il a pour les triomphes de l’argent une déférence instinctive, pour les énergies, quelles qu’elles soient, une admiration si peu scrupuleuse qu’il qualifiera sans marchander du même mot, — le mot « sublime, » — l’impudence du fripon et l’obscure probité du pauvre, l’effronterie de la courtisane et le dévouement de l’épouse ou de la mère de famille. Ce qu’il peint, il le peint au vif, mais en observateur curieux de toutes les singularité, autant, peut-être plus qu’en artiste épris de certaines vérités qu’il sait utiles. Ce sont au contraire ces vérités, non pas étrangères, mais supérieures au fait, qui préoccupent Gavarni, et qu’il nous laisse pressentir jusque dans l’image des difformités de l’âme ou de l’esprit, jusque dans le tableau des joies cyniques ou des situations équivoques. Il serait fort téméraire sans doute, il serait ridicule d’attribuer l’austère éloquence et l’autorité d’un sermonnaire à qui ne veut et ne fait après tout que nous donner un conseil détourné, que soulever en passant un coin du voile sous lequel se dérobent nos lâchetés ou nos vices, qu’entre-bâiller pour ainsi dire la porte d’où se répandrait pleinement la lumière. Toujours est-il que le rayon qui en jaillit suffit pour accuser la physionomie morale aussi bien que la saillie matérielle des choses, et qu’au lieu d’analyser, comme Balzac, la réalité pour le seul plaisir de l’analyse, Gavarni semble surtout avoir à cœur d’en dégager et d’en résumer le sens. N’est-il pas juste d’jouter que le style net de concis de l’artiste ne continue ou ne rappelle rien des formules embarrassées, des entortillemens de langage où se complaît le célèbre romancier ? Mais laissons là des questions sur lesquelles il serait hors de propos d’insister davantage, et que d’ailleurs il ne nous appartient pas de traiter. Les côtés littéraires du talent de Gavarni exigeraient, pour être bien mis en relief, le tact et l’expérience d’un maître ne matière de littérature. Peut-être y aurait-il dans un pareil sujet de quoi