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Cette sibylle chantait sous Trajan, cinquante ans après la mort de Néron, et le croyait encore vivant. On retrouve la même croyance chez une autre, qui date de la fin du IIe siècle. Avant elle, l’Ascension d’Ésaïe avait dit aussi que Bélial prendrait la forme du roi impie meurtrier de sa mère, qui se ferait adorer, persécuterait l’église et régnerait environ trois ans et demi sur le monde. Au milieu du IIIe siècle, ce Commodien, dont nous avons mentionné l’apocalypse, identifie encore l’Antechrist et Néron, et pensait qu’il allait sortir de l’enfer, où il avait été retenu jusqu’à ce moment. Victorin, mort en 303, évêque de Petau en Pannonie, a écrit un commentaire sur l’Apocalypse, où il reconnaît également la personne de Néron dans la vision du chapitre XIII. Et que disons-nous ? Bien que les témoignages directs nous fassent défaut à partir du IVe siècle, nous voyons Lactance, Sulpice Sévère, Jérôme, Augustin, attester que la croyance en Néron l’Antechrist subsistait encore de leur temps, et Chrysostome s’efforcer de concilier la légende et le dogme en établissant que Néron fut, non pas l’Antechrist lui-même, mais son représentant typique.

Tout démontre par conséquent la généralité et la fermeté de cette croyance à l’origine. Quand de plus nous lisons chez les historiens romains que de tous les césars Néron fut celui qui rechercha le plus avidement les honneurs divins, et que par exception à la règle suivie jusqu’alors un sénateur courtisan proposa de lui élever un temple de son vivant[1], qu’il s’efforça de répandre le plus qu’il put le droit de cité romaine, conformément, il est vrai, à la politique permanente des césars, mais avec une prodigalité sans exemple avant lui, que c’est toujours d’Orient, et notamment des bords de l’Euphrate, que partent ces aventuriers qui troublent l’empire à plusieurs reprises en se faisant passer pour Néron, que son retour à la tête d’une armée nécessairement non romaine devait être suivi d’impitoyables vengeances, — comment ne pas reconnaître trait pour trait la bête blessée à mort et pourtant guérie, qui veut que la terre entière se prosterne devant son simulacre, qui tâche de faire en sorte que chacun porte sa marque sous peine d’être exclu de la société des hommes, et qui va revenir, assistée des rois d’Orient et des dix rois chefs des peuples soumis à l’empire ? Il n’est pas jusqu’à ce faux prophète qui l’accompagne dont on ne puisse deviner, sinon le nom propre, du moins le nom professionnel, quand on relit de près l’histoire de Néron dans Tacite et dans Suétone en pensant à son caractère apocalyptique.

Ce faux prophète, qui voulait ressembler au Christ et qui parlait

  1. Tacite, Ann., XV, 74.