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se réfugier chez eux quand il apprit l’insurrection de Galba, négligeant les plus vulgaires mesures de précaution en vue d’une défense que le dernier des césars, malgré son atroce réputation, aurait fort bien pu tenter avec l’appui de l’armée d’Italie[1], montrant enfin une foi aveugle en son étoile, — jusqu’au moment où, la réalité de la situation s’étant révélée, il perdit la tête et ne vit plus d’autre ressource que le suicide ? Eh bien ! le faux prophétisme de l’Apocalypse, c’est celui des astrologues et mages dont nous parlons, qui faisaient servir les croyances messianiques de l’Orient à leurs intérêts, les transformaient en flagorneries adulatrices pour l’empereur, et trouvaient ainsi dans la colossale vanité du maître, une alliée, une protectrice. Le culte du césar messie n’était qu’une conséquence toute naturelle de cette profanation de la sainte espérance d’Israël. En leur qualité de devins, ils devaient être foncièrement antipathiques à un écrivain qui prétendait, lui aussi, prédire l’avenir, mais qui le prévoyait diamétralement contraire à celui qu’ils décrivaient. Il est à croire que l’un d’entre eux fut par excellence le faux prophète, et si la légende de Simon le Magicien avait quelque solidité historique, nous serions fort tenté de le regarder comme celui dont veut parler l’auteur de l’Apocalypse. Au surplus, historique ou non, cette légende confirme ce que nous disons du caractère moitié messianique, moitié charlatanesque de ces prédicateurs à prodiges qui tournaient tant de têtes du haut en bas de la société d’alors. Quand l’origine première de ces rumeurs, qui persistèrent si longtemps à Rome et dans l’empire sur un prochain retour de Néron, devrait être cherchée dans quelque absurde vanterie de sa façon, inspirée par ces rêveries astrologiques, il n’y aurait rien que de très vraisemblable. À toutes ses folies il pouvait bien ajouter celle-là. Enfin il n’est pas jusqu’à l’expédient dont il usa après le grand incendie pour détourner les soupçons qui circulaient sur son compte, en accusant hautement les chrétiens de l’avoir allumé, qui ne soit en parfaite harmonie avec tout cet ordre de faits. Évidemment les chrétiens étaient innocens, et, à défaut d’autre preuve, le témoignage d’un Tacite qui les déteste suffirait pour nous en convaincre ; mais de la part du tyran qui, par ses relations avec les astrologues d’Orient, peut-être aussi par les rapports toujours plus alarmans qui lui parvenaient de Jérusalem, avait une connaissance assez exacte des espérances et croyances messianiques, il y avait une habileté réelle à reporter l’accusation dirigée contre lui sur des gens qui croyaient à l’embrasement prochain du monde, et qu’on pouvait bien soupçonner d’avoir eu envie de commencer le feu.

  1. Tacite, Hist., I, 5, 89.