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bien choisi à cause de la sûreté du port et de la proximité de la mer. Malheureusement là, comme sur les autres parties de la côte, l’insalubrité était grande. La langue de terre sur laquelle Beniowski venait de s’établir était couverte de marécages et noyée, pendant six mois de l’année, par les hautes marées de l’hivernage[1].

Cet obstacle n’arrête pas Beniowski, dont le plan est de rallier à lui quelques tribus favorablement disposées pour les étrangers, de leur fournir des armes, de les enrégimenter, de les discipliner, de leur faire sentir une autorité ferme, mais bienveillante, afin de s’en servir pour dominer toutes les autres populations de l’île. Il ouvre des routes pour assurer ses mouvemens ; il entoure son principal établissement de fortifications qui le préservent de toute surprise ; il relie entre eux des postes fortifiés et les échelonne très avant dans l’intérieur des terres. Il s’empare successivement d’Angoutzy, de l’île Marosse, de Fénériff, de Foulpointe, de Tamatave et de Manahar. Tout en ralliant ou contenant les indigènes, il empêche les navires marchands de faire la traite des esclaves, dont le gouvernement s’est réservé le monopole, et oblige ceux qui veulent trafiquer à le faire avec des marchandises et non avec des piastres, afin de donner ouverture à un commerce d’échange. Avec l’aide des naturels, Beniowski travaille à tracer des routes et à creuser des canaux. Il envoie dans l’intérieur des agens habiles pour provoquer des traités d’alliance et démontrer aux chefs du pays l’intérêt qu’ils ont à vivre en bonne intelligence avec lui. Il acquiert bientôt un si grand ascendant qu’il est pris pour arbitre par les populations qui sont en guerre les unes contre les autres. Cependant de puissantes tribus restaient en dehors de son autorité. Elles s’effraient de son pouvoir et se liguent entre elles pour obliger Beniowski à quitter la grande terre ; mais celui-ci, grâce à son habile politique, avait déjà réuni assez de forces pour résister à cette coalition. Les chefs des tribus malates du sud lui étaient complètement dévoués. Il se met à leur tête, livre plusieurs combats, et poursuit ses ennemis jusqu’à ce que, définitivement vaincus, ils lui demandent la paix.

Beniowski, fertile en expédiens, plein de sang-froid dans le danger, adroit à tirer parti de toutes les circonstances, savait même exploiter

  1. La saison où les fièvres ont le caractère le plus pernicieux est celle de l’hivernage, c’est-à-dire la saison chaude. Pendant cette période de temps, qui dure de novembre en avril, des pluies très abondantes et les débordemens des rivières transforment en marécages toutes les terres basses du littoral, et par l’évaporation, rendue très active sous l’influence alternative ou simultanée de la pluie et d’une température élevée, l’air s’imprègne de miasmes morbides que dégagent ces marécages. D’après des relevés statistiques, on peut évaluer de 50 à 60 pour 100 les décès parmi les Européens causés par l’insalubrité du climat. Les naturels eux-mêmes ne sont pas épargnés. (Mémoire manuscrit inédit de M. Bedier.)