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au moyen de droits de douane. La reine se relâchait de ses rigueurs quand elle voyait son trésor vide.

La compagnie a tenu compte de cette situation. Elle a voulu intéresser le roi à son œuvre, non pas d’une manière indirecte, par l’effet des travaux qu’elle accomplira dans le pays, mais directement et par une redevance qu’elle lui paiera. Les statuts stipulent que 10 pour 100 des bénéfices nets réalisés appartiendront au souverain de Madagascar. C’est une chaîne d’or qui lie le nouveau gouvernement au succès de l’entreprise, et son avidité l’empêchera, selon toute apparence, de la briser. Peut-être bien ne maintiendra-t-il pas toutes les concessions faites par Radama, peut-être voudra-t-il en reprendre quelques-unes qui semblent aliéner les droits de la souveraineté ; elles pourront être modifiées, restreintes, subordonnées à de nouvelles conditions, mais elles subsisteront en principe et fourniront un aliment suffisant pour une entreprise considérable.

Enfin faut-il croire que la politique anglaise, qui n’aurait pas été étrangère, dit-on, aux terribles scènes qui ont accompagné l’avènement de la reine Rabodo, poursuivra sa victoire, et tiendra à faire avorter les projets de la compagnie? C’est encore là une opinion qui ne résiste pas à l’examen. Par de vieilles habitudes d’esprit que justifient des souvenirs dont notre histoire est remplie, on a en France la préoccupation de la jalousie de l’Angleterre. On y est persuadé que tous nos pas sont observés par elle avec une inquiétude ombrageuse, que, lorsqu’elle voit la France sur le point d’obtenir un succès, un agrandissement d’influence ou de territoire, elle se dispose à nous contrecarrer, à miner le terrain sous nos pieds, à nous susciter mille obstacles. C’est une erreur et un anachronisme. Oui, il y a encore quelque trente ans, quand la Grande-Bretagne avait foi dans son système colonial, elle préférait être seule à posséder de grands établissemens maritimes; elle voulait se réserver au loin de vastes marchés, et la compétition d’une autre puissance lui était une cause de soucis; mais depuis qu’elle a pu constater les immenses résultats que son commerce et son industrie ont retirés de la séparation de ses anciennes possessions de l’Amérique du Nord, depuis qu’elle a mis en pratique les principes de la liberté commerciale et profité de ses merveilleuses conséquences, toutes ses opinions à ce sujet se sont complètement modifiées. Pourvu que, comme le fait la France, les établissemens qui se fondent soient basés sur des institutions plus avancées, qu’ils introduisent dans les pays encore barbares les progrès de la civilisation, qu’ils y développent les germes de richesse, d’industrie et de commerce qui s’y trouvent enfouis, loin d’être inquiète d’une pareille conquête, l’Angleterre y applaudit. Pour elle aujourd’hui, toute contrée conquise à la civilisation est