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historiques laissaient le public aussi calme que la chimie, elles seraient bien plus avancées ; mais ce qui fait leur danger fait aussi leur noblesse. Avec leurs énormes difficultés, malgré les obstacles qui s’opposent à ce qu’on les traite d’une manière impartiale, malgré leur liaison intime avec la politique et la morale, malgré les froissemens qu’elles sont obligées de causer à une foule d’intérêts ou de préjugés respectables, les études historiques ont le droit de se consoler du dédain qu’elles rencontrent chez plusieurs de vos confrères. Quand je songe à ce que seraient ces études, si elles étaient cultivées par des esprits philosophiques dégagés des habitudes étroites de l’humaniste, je m’encourage à poursuivre des recherches que ceux-là seuls qui ne les comprennent pas traitent d’inutiles curiosités.


Le temps me semble de plus en plus le facteur universel, le grand coefficient de l’éternel « devenir. » Toutes les sciences me paraissent échelonnées par leur objet à un moment de la durée. Chacune d’elles a pour mission de nous apprendre une période de l’histoire de l’être. L’histoire proprement dite est, à ce point de vue, la plus jeune des sciences. Elle nous éclaire seulement sur la dernière période du monde, ou, pour mieux dire, sur la dernière phase de cette période. Ce qu’elle nous apprend, elle nous l’apprend d’une manière imparfaite, avec d’énormes lacunes. L’histoire ne commence à être mise par écrit qu’à une époque où l’humanité est parvenue à un état très avancé de réflexion. L’Egypte et la Chine sont déjà vieilles quand elles arrivent à notre connaissance ; les Grecs et le peuple juif nous apparaissent dans la splendeur d’une admirable jeunesse ; mais avant cela quelles aventures n’avaient-ils pas traversées ! Les. origines de Rome seront toujours un mystère, faute de vieux livres indigènes. Que dire du long sommeil que les Celtes, les Germains, les Slaves traversèrent avant de rencontrer des peuples en possession de l’écriture qu’ils aient forcés à s’occuper d’eux ?

Notre siècle, par des prodiges d’induction scientifique, a réussi à reculer de beaucoup les bornes de l’histoire. La philologie et la mythologie comparées nous font atteindre des époques bien antérieures à tout document écrit. L’homme en effet parla et créa des mythes avant d’écrire. Certes l’histoire remonte aussi par ses récits fort au-delà de l’époque où vécurent les premiers historiens ; mais la transmission des faits un peu anciens est d’une extrême imperfection, tandis que le langage et la mythologie se conservent intacts durant des milliers d’années. Le Lithuanien parle encore presque sanscrit, et M. Grimm a prouvé que les mythes primitifs de la race indo-européenne vivent encore chez les paysans de la