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où, dans notre pays, l’opinion, encore animée par le souffle puissant de la philosophie et de la révolution, saluait avec une généreuse sympathie toutes les nobles causes, où, en Angleterre, la grande école des whigs soutenait une lutte glorieuse pour la justice, et ouvrait la citadelle de l’orgueil britannique aux idées de tolérance et de fraternité. Notre temps est froid, calme et mesuré; mais à quoi lui servirait d’avoir perdu la passion, s’il n’avait acquis l’expérience, la sagacité, la prévoyance ? Serions-nous séniles sans être habiles ? Le vieux monde est-il devenu incapable de juger? L’expérience a répondu à ceux qui déclaraient l’œuvre de la démocratie américaine ruinée sans remède; mais les événemens, on doit l’avouer, n’ont guère moins déconcerté les amis que les ennemis des États-Unis. La plupart des adhérens à la cause fédérale ont, depuis le début de la guerre, borné leurs espérances à voir les états du nord rattacher à l’Union les états frontières et la grande vallée du Mississipi. Ils s’étaient résignés à laisser isolés, dans une sorte d’indépendance farouche, les états du golfe, espérant que l’esclavage y périrait par degrés sous la pression d’une civilisation remuante qui de toutes parts eût entouré cette faible et éphémère confédération. Ces vues ont été exposées avec une grande éloquence par l’auteur d’un livre remarquable sur l’esclavage, M. le professeur Cairnes de Dublin, l’un des rares esprits qui soient restés fidèles en Angleterre à la cause des États-Unis pendant les redoutables épreuves qu’elle a récemment traversées. La réalité dépasse aujourd’hui de beaucoup l’attente de M. Cairnes. Et que faut-il conclure de cette marche des événemens qui trompe aussi bien les calculs des partisans dévoués, mais timorés de l’Union que les espérances de ses ennemis? C’est qu’on s’est trop habitué à considérer la guerre des États-Unis comme une guerre ordinaire, où un retour de fortune peut à tout moment ramener la victoire dans le camp qu’elle avait déserté. Les guerres civiles agitent la société politique jusque dans ses profondeurs : quoi qu’en ait dit lord Russell, si le sud combat pour l’indépendance, le nord ne combat pas pour l’empire, en ce sens qu’il ne lutte pas pour des provinces, des frontières, des positions militaires; il combat pour les principes qui en moins d’un siècle ont fait une nation de l’autre côté de l’Atlantique et l’ont portée à un degré de prospérité inoui; il combat pour ses lois, pour sa constitution, et, on peut le dire sans exagération, pour son existence même, car le gouvernement démocratique devient impossible quand les minorités n’acceptent plus la volonté des majorités, et quand celles-ci ne peuvent plus faire respecter leur souveraineté.

Pour dresser ce qu’on pourrait nommer le bilan de la guerre civile,