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mériter une étude spéciale[1], sont hostiles aux étrangers, et se plaisent à les représenter comme des êtres dangereux et barbares. Ils appréhendent par-dessus tout de voir diminuer le respect dont le bas peuple les entoure, en autorisant la libre circulation d’hommes qu’ils savent fort peu enclins à leur prodiguer des marques de déférence, et ils s’opposent, pour ce motif, de toutes leurs forces à l’établissement de relations intimes et amicales entre Japonais et Européens. Aussi, au-delà des murs de Yokohama et de Nagasacki, et souvent même dans l’intérieur de ces villes, où les étrangers ont plein droit de cité, un Européen ne peut guère aborder un japonais sans voir bientôt apparaître à ses côtés l’inévitable yakounine, qu’il faut supporter comme intermédiaire dans les transactions les plus mesquines, et dont la tâche semble consister à rendre les relations aussi difficiles que possible. Les plaintes répétées de nos ministres n’ont rien changé à cela. On s’est contenté de leur répondre qu’on agissait ainsi par mesure de précaution et dans l’unique intérêt des étrangers, et puisqu’on rendait le gouvernement japonais responsable de leur sécurité, celui-ci n’excédait pas la limite de son droit en les entourant d’une surveillance qu’il jugeait nécessaire. Ce fâcheux état de choses ne cessera d’exister que lorsque le taïkoun aura enfin compris que ses nouveaux alliés sont aussi ses amis naturels, et qu’il doit s’efforcer de gagner leurs sympathies, afin de pouvoir les opposer efficacement aux prétentions du mikado et des daïmios, qui, pour des raisons plus ou moins spécieuses, accusent le gouvernement de Yédo d’avoir violé la constitution du Japon en concluant des traités avec les nations occidentales.

Ma craintive hôtesse de Kanasava, dès que sa responsabilité eut été mise à couvert par l’intervention d’un agent de l’autorité, changea de ton envers moi. Elle ordonna qu’on s’occupât de mon cheval, me conduisit dans une petite chambre bien propre, et me fit servir un repas à la japonaise, composé d’une soupe au poisson, de poissons bouillis et crus, de riz, de sucreries et de fruits, le tout arrosé, à mon choix, de sakki et de thé. La cuisine japonaise est très variée et tout à fait celle d’un peuple civilisé. J’insiste là-dessus, parce que j’ai remarqué que la question : Que mange-t-on au Japon? est une de celles qu’on m’a le plus souvent adressées. La réponse est bien simple : les Européens mangent là-bas ce qu’ils ont coutume de manger chez eux, c’est-à-dire du bœuf, du mouton, de la volaille, du gibier, du poisson, des légumes. La seule particularité d’un repas européen pris au Japon, c’est que le riz au curry, plat favori de tous les colons, y figure invariablement, qu’il s’agisse d’un dîner de

  1. Voyez la Revue du 1er mai 1863