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et me souhaitèrent la bienvenue ; l’un d’eux, un domestique, se leva pour annoncer mon arrivée à ses maîtres, il revint presque aussitôt et me pria de le suivre. Je gravis un escalier étroit et roide et parvins ainsi au premier étage de la maison.

Dans une grande chambre éclairée par des lanternes en papier et quelques mauvaises chandelles, je vis une joyeuse compagnie de Japonais ; elle se composait de quatre hommes, de leurs femmes, de deux enfans et de quatre chanteuses : ces dernières étaient placées dans un angle de la chambre, tandis qu’au milieu les autres se tenaient accroupis autour de plusieurs plateaux chargés des débris d’un repas. Les figures animées des convives, leurs yeux brillans et l’absence de tout embarras et de toute crainte en me voyant entrer, me firent comprendre que je les surprenais au milieu d’une de ces petites fêtes de famille si fréquentes chez les Japonais. Un homme d’un certain âge, probablement le chef de la maison, se leva et me souhaita fort poliment la bienvenue ; les autres m’invitèrent par gestes à prendre place parmi eux : les femmes et les enfans me regardaient avec une curiosité naïve. Je tâchai d’expliquer l’objet de ma visite, et j’eus quelque peine à me faire entendre ; mais j’en eus bien davantage encore pour saisir le sens de ce qu’on me répondit. Mes hôtes n’avaient jamais échangé une parole avec un Européen, et le langage qu’à Yokohama j’avais la prétention de donner pour du japonais ne semblait pas avoir droit de cité dans tout l’empire. En général, le japonais que parlent la plupart des étrangers diffère essentiellement de la langue pure et choisie des indigènes. Aussi ai-je remarqué souvent que, pour converser avec des marchands venus de l’intérieur, les commerçans de Yokohama se servaient de leurs domestiques comme interprètes. Cependant la difficulté que nous eûmes à échanger quelques phrases ne refroidit pas l’excellent accueil qui me fut fait, et que les Européens trouvent toujours au Japon lorsqu’il n’y a pas de motif particulier de les éviter ou de les craindre. On m’offrit du thé, du riz, des fruits, du sakki, et l’on s’amusa beaucoup de la maladresse que je mis à me servir des deux petits bâtons qui remplacent le couteau et la fourchette. Je restai plus d’une heure en compagnie de ces braves gens, et ils m’auraient retenu longtemps encore, si je n’avais prétexté la fatigue du voyage et la nécessité où j’étais de me lever de grand matin. Les hommes m’accompagnèrent jusqu’au seuil de la porte ; l’un d’eux insista même pour me reconduire jusqu’à l’auberge où je devais passer la nuit, et il ne se retira qu’après m’y avoir vu entrer sain et sauf.

Les souvenirs que m’a laissés l’hospitalité japonaise n’étonneront aucun des Occidentaux qui ont vécu à Yokohama ou à Nagasacki, et