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commune. C'était pourtant une faute, nécessaire peut-être, inévitable au moment où l’on se trouvait, et qui n'était pas moins réelle, dont les conséquences éclataient presque aussitôt. Personnifier l'insurrection dans un homme qui portait dans son camp la fortune de la cause nationale, c'était le désigner aux coups des Russes : on ne le croyait pas, et puis on ne soupçonnait pas à cette époque ce qu'il pouvait y avoir de puissance et de ressources dans un gouvernement anonyme. Langiewicz succomba, victime d'une situation impossible, accablé par les forces accumulées aussitôt contre lui, et en cherchant à briser le cercle de fer resserré autour de lui, en essayant, comme il l'avait fait d'autres fois heureusement, de se frayer un chemin par la lisière de la Galicie, il n'échappait aux Russes que pour rester prisonnier de l'Autriche.

C'était pour l'insurrection une crise décisive, dont on ne vit que les dehors en Europe, et qu'on crut mortelle parce qu'on n'en pénétrait pas le sens intime. Elle était grave assurément, et ressemblait à une catastrophe. A l'observer de plus près, c'était plutôt, si j'ose le dire, une crise de transition et de croissance où étaient venus se résoudre d'anciens dissentimens, et qui laissait après elle une situation fondée sur l'union des partis. Par la défaite de Langiewicz, ce n'était qu'une création de circonstance qui disparaissait; ce qui restait, c'était ce rapprochement scellé pour l'action, survivant à la dictature qui en avait été l'expression éphémère et demeurant le signe de la complicité universelle. Au premier moment, il est vrai, dans cette sorte d'interrègne, il y eut un sentiment rapide d'anxiété et d'embarras; on était engagé des deux côtés, et il n'y avait plus de gouvernement. On n'avait point à hésiter. Aussitôt l'ancien comité, recomposé, formé d'hommes des deux partis, reprenait hardiment son pouvoir anonyme, et au cœur même du pays, à Varsovie, sous le regard des Russes, se constituait définitivement en gouvernement national. Par cet acte hardi, il ne laissait place à aucune incertitude. L'insurrection, à peine un instant ébranlée, se retrouvait avec une direction raffermie, des ressources plus étendues, un caractère plus permanent et plus durable. Ce n'était plus seulement l'élan et l'enthousiasme des premiers jours, la charge furieuse et chevaleresque de Wengrow; c'était une guerre nouvelle qui commençait, ayant son système et sa tactique, coordonnée dans sa confusion même, toujours passionnée et pleine d'héroïsme sans doute, mais visant à régulariser l'enthousiasme, se servant de la faulx populaire, mais cherchant en même temps d'autres armes pour une lutte un peu moins inégale, se proposant en un mot de durer, de harceler sans cesse la Russie, et de provoquer l'Europe à reprendre en main cette cause du malheur et du droit.