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un sentiment universel. Savez-vous, au surplus, quelle est la conclusion de M. Proudhon et quel programme il assigne au congrès, à ce congrès qui est encore et plus que jamais un mythe ? Mon Dieu ! cela est bien simple : il s’agit de réviser les traités et d’en renouveler par une rédaction plus expresse les dispositions fondamentales ; il s’agit de « notifier à l’empereur de Russie que le congrès se tient pour satisfait de ses explications, qu’il n’attend que de sa prudence la pacification de ce pays, qu’il ne doute pas que la Pologne, éclairée enfin sur les causes de ses infortunes et n’attendant plus rien des sympathies de l’Europe, ne s’apaise d’elle-même, mais que le congrès, et avec lui toute la démocratie de l’Occident, seraient heureux d’apprendre que l’empereur, mettant le comble à ses bienfaits, a donné des terres aux paysans de Pologne comme à ceux de Russie, réduit les domaines seigneuriaux à un maximum de dix hectares et doté la Pologne et la Russie, désormais confondues, d’une constitution représentative basée sur le suffrage universel. » Voilà le programme ! Moyennant cela, on n’a qu’à désarmer partout, et l’Europe est plongée dans les délices d’une paix durable. Le sophisme est pourtant quelquefois risible, sans compter le reste, dans sa suffisance.

Les complications actuelles du monde sont trop sérieuses, les événemens de 1815 et les combinaisons qui en ont été la suite ont joué et jouent encore un trop grand rôle dans le mouvement des affaires contemporaines, la lutte sans merci qui se poursuit au nord de l’Europe, et qui n’est que l’expression suprême d’une situation poussée à bout, a un caractère à la fois trop gravement politique et trop émouvant pour que tous ces problèmes qui agitent la conscience des peuples aillent s’obscurcir dans les intempérances d’une imagination dévoyée ; ils se dégagent dans leur vérité, dans leur simplicité redoutable aux yeux de tous ceux qui pensent, qui réfléchissent et qui cherchent d’un cœur sincère, d’un esprit animé de bonne volonté, le sens des choses de notre temps. Je ne sais si cette crise qui presse et étreint la vie européenne a été étudiée nulle part avec plus de fermeté et plus de fécondité ingénieuse d’aperçus que dans ces pages anonymes consacrées, elles aussi, à l’analyse de toute une situation et à la recherche des conditions d’une paix durable, à l’examen rigoureux et pénétrant des traités de 1815 et à une dissection éloquente des élémens plus généraux, souvent inaperçus, qui s’agitent sous le voile des politiques officielles. L’auteur avait déjà montré dans une première étude, je le disais, l’identité qui existe entre la cause polonaise et la cause de l’ordre, de la paix, des intérêts conservateurs en Europe, de la vraie liberté, qui est aussi l’ordre dans notre temps ; il avait montré que cette insurrection du droit, cette manifestation spontanée et héroïque d’une nationalité, d’une société se disputant à la destruction n’avait rien de commun avec les doctrines purement révolutionnaires, que le grand révolutionnaire c’était le gouvernement russe, et en vérité c’est M. Proudhon qui par son aversion