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Je gravis la digue, qui était peu élevée, et quand je fus sur la crête, un air frais et vivifiant vint me frapper au visage. J’avais devant moi les horizons infinis de cette Mer du Nord qui n’a plus d’autres bornes de ce côté que les glaces éternelles du pôle. C’était bien cette mer lourde et presque immobile que Tacite a peinte en deux mots : pigrum ac prope immotum. Là finissait, croyait-il, l’univers : illuc usque tantum natura ; là apparaissaient les formes gigantesques des divinités germaniques. Au pied de la digue commençaient les relais limoneux, déjà recouverts sur une assez grande étendue de plantes verdoyantes; au-delà, c’était de la boue figée, mais déjà de la terre; puis venait de la boue humide, insensiblement transformée en une eau épaisse et trouble. Enfin çà et là des bancs de sable brillaient au soleil, et se relevaient même en dunes pour former les îles de Rottum, de Schiermonnikenoog, de Rottumeroog et de Borkum. Ces bancs et ces îles étaient la suite de ces collines sablonneuses que les flots et le vent font naître sur la côte à partir du Pas-de-Calais, et qui servent de défense à la terre ferme. Ces bras d’eau limoneuse que j’avais devant les yeux, c’étaient les wadden, c’est-à-dire des polders en voie de formation, un sol encore noyé à marée haute, mais qui s’élève peu à peu, à mesure que les courans de l’Ems et du Zuyderzée viennent y déposer de nouvelles couches d’argile. A marée basse déjà, c’est à peine si quelques passes restent navigables pour des barques, et les troupeaux qu’on met dans les îles peuvent regagner la côte à gué. Des nuées d’oiseaux marins s’abattent alors sur ces bas-fonds pour s’y nourrir des coquillages que le reflux abandonne à leur voracité, puis ils vont déposer sur les bancs de sable des quantités d’œufs qu’on apporte aux marchés des villes, et qui forment un objet d’exploitation régulière. Avant cent ans, barques, oiseaux, bas-fonds et bras de mer auront disparu; les îles seront des dunes qui borderont la terre agrandie, et la charrue fera sortir de ce sol nouveau d’incalculables richesses.

Nulle part mieux qu’ici on ne peut étudier comment la végétation hâte la formation de ces relais qui étendent sans cesse le territoire néerlandais. D’abord au printemps la grasse argile se couvre d’une espèce de conferve qui en rougit légèrement la superficie, et qui produit ce que l’on appelle la floraison de la boue; puis vient la salicornia herbacea, qui prospère même sur un dépôt vaseux que la marée submerge tous les jours. A la salicornia succède toute une famille de plantes marines dont les feuilles épaisses, charnues et. luisantes rappellent celles des plantes grasses, et qui résistent très bien à l’arrosement bi-mensuel d’eau salée que leur apportent les marées de sizygies : le glaux maritima, le scoberia maritima, le