Page:Revue des Deux Mondes - 1863 - tome 48.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une surtout se distinguait par son caractère ingénieux et frappant; elle montrait que le projet de loi allait contre son but et accélérait le morcellement au lieu de l’arrêter. Supposons en effet qu’un père de famille laisse quatre enfans et une fortune de 100,000 fr. Dans le système du partage égal, chaque part sera de 25,000 fr.; dans le système du droit d’aînesse, la part de l’aîné sera de 40,000 francs, et chacune des trois autres de 20,000; la loi rendait donc l’une des quatre portions plus grande et les trois autres plus petites. « Prétendre arrêter par un tel expédient la division des propriétés, n’est-ce pas imiter ce pèlerin qui se flattait d’arriver à Rome en faisant régulièrement un pas en avant et deux en arrière?»

Parmi les autres discours prononcés par M. le duc de Broglie pendant la restauration, on n’en a réimprimé que deux. Le premier traite une grande question de droit commercial, plusieurs fois agitée dans nos assemblées, celle de la contrainte par corps. Il s’y prononce pour la suppression complète; son avis n’a pas encore prévalu, mais il prévaudra probablement quelque jour, et ce travail important aura préparé les voies. Rien ne prouve mieux que la contrainte par corps manque son but, et que l’esprit de nos lois modernes la repousse. Déjà les cas d’application ont été mieux définis et rendus plus rares; la contrainte par corps a même été supprimée un moment en 1848. Le second discours présente un intérêt curieux et piquant dans ce temps de viremens financiers : il s’agit de la fameuse affaire de la salle à manger de M. de Peyronnet. Ce ministre avait dépensé 179,865 fr. pour réparations à l’hôtel de la chancellerie, sans qu’aucun vote législatif l’y eût préalablement autorisé. Il n’avait pas excédé le total des crédits ouverts à son ministère, puisque l’ensemble de ses comptes présentait un boni de 267,439 fr.; il n’avait dépassé que le crédit spécial ouvert pour l’entretien de l’hôtel. C’était donc un simple virement qu’il s’était permis. La chose ne ferait aujourd’hui aucune difficulté; elle en fit beaucoup alors, et le ministère de M. de Martignac, qui avait succédé au ministère Villèle, fut le premier à la signaler. M. le duc de Broglie ne jugea pas inutile de s’en occuper; il posa des principes qui paraîtraient aujourd’hui bien sévères, puisqu’ils n’allaient à rien moins qu’à engager la responsabilité civile du ministre ordonnateur. La chambre des députés partagea cette opinion; mais la chambre des pairs fit quelque difficulté, et l’affaire finit par une transaction. Il ne faut pas oublier que cela se passait sous la restauration, c’est-à-dire avant le temps où les chambres ont été accusées, peut-être avec raison, de pousser à l’excès la spécialité en matière de crédits.

M. le duc de Broglie et ses amis ne se contentaient pas de servir les libertés publiques de leur parole et de leur vote dans les deux