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de ses procédés, et si ce genre de recherches suffisait pour éteindre l’esprit créateur, il faudrait immédiatement rayer de la liste des beaux temps littéraires non-seulement notre XVIIe siècle, sacrifice que certaines gens n’auraient peut-être pas de peine à faire, mais aussi l’âge d’Auguste, c’est-à-dire de Virgile et d’Horace. Nous ne voyons pas qu’au temps auquel Léon X a usurpé l’honneur de donner son nom, les grands artistes aient inventé à l’aventure et se soient abstenus de méditer sur les généralités de leur art. Les auteurs qui ont écrit leur, vie abondent en réflexions critiques. Léonard de Vinci avait composé un traité de la peinture. Nous avons de Michel-Ange lui-même le témoignage que tout était calculé dans ses compositions si fort marquées au coin d’un génie libre, et la correspondance de Raphaël avec Balthazar Castiglione donne la preuve qu’il cherchait métaphysiquement les sources du beau, et que des idées dignes de Platon guidaient celui qui traçait l’esquisse de la Vierge à la Chaise sur le disque d’un tonneau à la porte d’un cabaret de village. On. ne voit guère que la Bible dans ses parties poétiques et peut-être Homère qui justifieraient pleinement la théorie qui frappe d’impuissance l’artiste initié par la réflexion aux secrets des arts. Je n’oserais y ajouter même les poèmes de l’Inde que nous savons contemporains de recherches philosophiques d’une subtilité si raffinée. Malgré les côtés incultes de son génie et un défaut de proportion qui ne suppose guère un goût exercé, Dante ne peut être considéré comme un improvisateur naïf qui compose sans méditation, car le défaut, de proportion et de mesure est aussi le défaut de Michel-Ange, le moins irréfléchi des artistes. Shakspeare seul a peut-être donné la vie dramatique aux personnages de sa création par une puissance directe et spontanée, sans avoir philosophé sur le théâtre ni sur le cœur humain ; car on ne pourrait comprendre dans la même hypothèse ce Molière qui, de son aveu, étudiait Plaute et Térence et même épluchait les fragmens de Ménandre avant d’oser dire : « Je n’ai qu’à étudier le monde. » Enfin (il faut me pardonner de brouiller les dates, qui n’ont rien à faire ici), le temps de Périclès est celui d’un développement incomparable de l’esprit humain dans le champ de la spéculation. Il est impossible d’attribuer à l’art du Parthénon l’innocente inexpérience du sculpteur des marbres d’Égine, et l’on sait que Sophocle lui-même reprochait à Eschyle comme une infériorité de bien faire sans savoir ce que c’est que bien faire. Jamais on ne me persuadera que, pour avoir analysé la beauté, Platon en ait fait perdre le sentiment à ses disciples, et que pour avoir entendu Diotime au banquet de Socrate on fût moins apte à réaliser sous ses plus nobles formes l’idéal qu’il a défini. Platon lui-même est là pour démentir