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et qu’elle finit par très bien comprendre. La première fois qu’elle le chanta aux réunions de Mme de Narbal, M. Thibaut, qui était présent, et qui ne connaissait pas ce morceau de l’un de ses maîtres favoris, en fut ravi et félicita la jeune fille de la manière dont elle en avait rendu le sentiment.

— Vous faites des miracles, dit-il au chevalier, et ces beaux yeux vous devront bien de la reconnaissance, ajouta-t-il en frappant amicalement sur l’épaule de la jeune personne, pour tous les charmans artifices dont vous leur apprenez l’usage.

Soit que l’amour-propre de Frédérique se trouvât flatté des succès qu’elle obtenait dans les soirées intimes de Mme de Narbal, soit que l’esprit et le caractère du chevalier fussent mieux appréciés par elle, elle parut moins embarrassée vis-à-vis de l’homme dont les conseils lui étaient si profitables. Loin de fuir sa présence, comme elle l’avait fait jusqu’alors, elle la recherchait. Elle était toujours la plus empressée à se rendre aux invitations du chevalier quand il jugeait à propos de consacrer une heure de loisir aux trois cousines, et s’il restait trop longtemps sans s’occuper d’elles, Frédérique ne craignait pas de manifester le désir d’avoir son avis sur un nouveau morceau qu’elle voulait apprendre. Elle se plaisait à le questionner sur une foule de sujets, et ses réponses la trouvaient attentive et désireuse d’en comprendre la portée. Le chevalier, sans trop s’apercevoir du changement opéré dans les manières et la contenance de cette jeune personne, prenait plaisir à lui donner des conseils qui avaient de si bons résultats. Il l’avait déjà distinguée de ses deux cousines par l’aptitude qu’elle montrait pour l’étude de la musique sévère, et il n’était pas resté insensible à la délectation qu’on éprouve à communiquer à une jeune intelligence l’étincelle de la vie morale.

Le chevalier, ayant eu besoin d’aller passer quelques jours à Manheim, où il était resté plus longtemps qu’il ne le croyait, reçut par la poste un billet qui contenait ces mots : Ich liebe sie ! ach ! wehe mir ! (je vous aime ! hélas ! malheur à moi ! ) Il n’y avait pas de signature, et l’écriture fine, mais lisible et bien formée, était évidemment de la main d’une femme. Le billet portait la date du 2 avril, ce qui fit sourire le chevalier, qui comprit l’intention du badinage.

De retour à Schwetzingen, il fit part de la petite mystification dont il avait été l’objet, en disant avec gaîté aux trois cousines réunies : — Je vous laisse à deviner, mesdemoiselles, ce qui vient de m’arriver.

— Quoi donc, monsieur le chevalier ? répondirent Fanny et Aglaé.

— J’ai reçu une lettre anonyme où l’on se moque de moi ; mais on s’y est pris trop maladroitement pour me donner le change : je sais parfaitement que nous sommes dans le mois d’avril et le cas