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des réservoirs doivent en tracer le plan général et en fixer le niveau avec le plus grand soin, la moindre erreur de leur part pouvant causer la mort d’innombrables poissons. La nappe d’eau entourée de digues est-elle trop élevée, le flot de marée n’y pénètre pas avec assez d’abondance, et les êtres emprisonnés meurent d’asphyxie. Le niveau du réservoir est-il trop bas au contraire, les courans alternatifs de flot et de jusant ne s’établissent pas avec assez de force et ne peuvent produire ces chasses salutaires qui empêchent l’eau de se corrompre en la renouvelant. Privés d’air, les poissons périssent encore. S’il faut éviter de donner une grande profondeur au réservoir, de peur qu’il ne renferme des espaces dépourvus d’herbes et par conséquent inutiles comme pâturages, il faut cependant que la tranche d’eau soit assez considérable pour que les poissons ne soient pas exposés à souffrir par l’effet des sécheresses ou bien à périr pendant les gelées. Les constructeurs de réservoirs ne doivent pas négliger non plus de creuser de distance en distance des fossés d’abri où les poissons puissent se réfugier parmi les joncs lorsque la brise ou la tempête agite les vagues du bassin. Plusieurs réservoirs, dans l’établissement desquels on n’avait pas su prendre toutes les précautions nécessaires, n’ont donné d’abord que de très médiocres résultats.

Quant à l’emmagasinement des poissons, rien n’est plus facile, car les victimes viennent d’elles-mêmes au-devant de la mort. À l’heure du jusant, elles s’avancent à l’encontre du courant qui sort des réservoirs et pénètrent joyeusement dans l’écluse en sautillant les unes par-dessus les autres et en frétillant de la queue. Au retour de la marée, lorsque le courant change de direction et se précipite dans les réservoirs, les poissons essaient de le remonter de nouveau pour se rendre vers la mer ; mais à la porte même ils sont arrêtés par un filet tendu au travers de l’écluse. Par centaines et par milliers, ils se pressent, ils se superposent en couches devant la porte fatale ; puis le courant change encore, et ils reviennent pâturer dans leur nouveau gîte. Nombre de poissons meurent dans cette prison, où les conditions de leur vie sont changées, où manquent surtout le mouvement et le mélange éternel des flots qui parcourent librement l’étendue de la baie. D’autres poissons, tels que le bar, le muge, la sole, s’accoutument à vivre en captivité ; mais ils perdent la faculté de se reproduire et se bornent à engraisser. Seule, l’anguille fraie dans les réservoirs, dit-on, comme si elle n’avait pas changé de séjour. Maîtres de cette foule de poissons grossie par chaque nouvelle marée, les pêcheurs peuvent jeter leurs filets avec la certitude de les retirer remplis. Ils s’emparent au plus tôt du bar, qui est un animal de proie, et conservent les individus des autres espèces, attendant