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que de platoniques sympathies ; elle est toujours ce fragment détaché du volume du monde dont parle Shakspeare dans Cymbeline, qui appartient bien au volume, mais n’y est pas enfermé, is as of it but not in it. En France, l’opinion publique n’a pas d’abord répondu par un mouvement spontané au discours impérial. Nous aussi, nous avons un peu la prétention, et il nous semble que nous n’avons pas tort, de n’être point aussi malades que d’autres nations du continent. Nous ne parlerons pas des interprétations ambiguës et contradictoires auxquelles le discours a donné lieu, les uns y voyant la certitude de la conservation de la paix, les autres la revendication finale par les armes des principes de la révolution européenne. Qu’il fût possible, en commentant de bonne foi le discours impérial, d’en tirer ainsi les déductions les plus contraires, cela paraissait tout d’abord peu rassurant. Cependant la publicité donnée à la lettre d’invitation adressée par l’empereur aux souverains a fait luire tout à coup un éclair de confiance. La lettre d’invitation a obtenu sur-le-champ le succès qui avait manqué au discours impérial. Cette lettre est bien tournée, elle est écrite avec entrain, sur le ton de la confiance ; l’empereur s’y met en scène et y fait apparaître notre Paris révolutionnaire avec un mélange heureux de modestie et de fierté. Un morceau réussi suffit à mettre en gaîté notre nerveux parterre. On s’est laissé aller à un petit mouvement de joie frivole. Le congrès sera un miracle, ou il ne sera rien. On a voulu se donner le plaisir innocent de rêver le miracle et d’y croire. On a entrevu dans Paris en fête la somptueuse troupe des empereurs et des rois : le tsar qui aurait ordonné au bourreau Mouravief de chômer, le saint-père qui viendrait, entouré de princes hérétiques et schismatiques, présider et bénir le concile œcuménique de la politique européenne, la reine Victoria oubliant un jour son deuil éternel, et ces bons petits princes allemands, les médiatisés volontaires de l’avenir, se consolant d’avance dans nos petits théâtres de la perte d’un pouvoir hérissé pour eux de tant de soucis : il y avait de quoi s’arrêter avec complaisance devant cette vision du temps de Charlemagne ; le public parisien, ne voulant penser à autre chose, l’a contemplée un instant avec ravissement.

Les mots ont leur fortune ; il en est qui ont une magie de passade. Le mot talismanesque du jour est évidemment le congrès. Quand disparut à Saint-Domingue le roi Christophe, ce précurseur méconnu de Soulouque, notre bon Béranger entonna son fameux refrain, sur l’air de la Catacoua :

 Vite un congrès,
 Deux, trois congrès,
 Quatre congrès,
Cinq congrès, dix congrès !


Les congrès ont fait bien du chemin depuis le temps où chantait Béranger : ils se sont popularisés, vulgarisés, démocratisés. Ils ont cessé d’être les carrousels exclusifs de la diplomatie. Les congrès se sont faits tout à tous ;