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Juliette, elle, n’était pas savante. Ses notions sur l’Egypte ancienne se bornaient, on le voit, à quelques souvenirs confus du libretto de la Zauberflüte.

Maintenant, reprit-elle avec une pétulance joyeuse en faisant scintiller au soleil le joyau dont elle venait de s’emparer, qu’on vienne me disputer ma conquête ! je la défendrai envers et contre tous... Gare à qui la touche! On ne l’aura qu’avec ma vie!

Remarquez, reprit Edmond sans lever la tête, que vous prenez là, sans y songer, un engagement solennel vis-à-vis de celui à qui vous vous donnerez un jour tout entière... L’anneau lui revient de droit d’après vos paroles... Puisse-t-il comprendre la valeur du double cadeau que vous lui ferez ainsi !

Soit, répondit Juliette en riant, ce sera donc là mon anneau de fiançailles; je n’en aurai certainement pas d’autre, et je suis sûre qu’il me portera bonheur, car c’est une amulette, un talisman, n’est-il pas vrai?.. Voyez plutôt les merveilleux caractères qui s’y trouvent gravés!... Je voudrais bien savoir ce qu’ils disent...

Edmond, vers qui la jeune fille se penchait et qui commençait à craindre pour son frêle papyrus, effleuré çà et là par de belles boucles brunes, le replaça soigneusement sous verre avant de se décider à relever la tête; mais alors une sensation de malaise, une sorte de frisson le prit aussitôt, car l’antique anneau qu’il voyait au doigt de Juliette n’était autre que celui de Seb-Chronos, ou, pour mieux dire, celui d’Amasis. Une secousse violente, subitement imprimée à son imagination, le transporta parmi les ruines de Thèbes, en face du temple d’Ammon. Il revit devant lui le jeune chef kabyle et se sentit sous son regard étincelant de haine; en même temps les caractères gravés flamboyèrent sur le fond lumineux de l’améthyste, et à leurs vibrations radieuses un faible bruit se mêla, venu, semblait-il, d’une incalculable distance. Cet étrange son, pénétrant les rayons violets et leur prêtant pour ainsi dire une âme, un langage, se changea peu à peu en paroles distinctes. Comme dans un rêve, la lumière se faisait voix, l’éblouissement se faisait oracle. Les paroles issues de la flamme étaient précisément celles de Seb-Chronos, le destructeur éternel : — Je distribue, je retire aux mortels leur félicité passagère. Ne faites pas obstacle à la main du sort

— Eh bien! finirez-vous par me traduire ces hiéroglyphes?... C’était la douce voix de Juliette qui venait ainsi, fort à propos, rompre le charme du talisman et rappeler Edmond aux réalités de la vie. Honteux de lui-même et de ses visions, il allait essayer de les expliquer à Juliette, lorsque le cor d’un postillon fit retentir dans la cour du château ses notes aiguës. C’était peut-être là le secret des vibrations lointaines qui se mêlaient tout à l’heure aux rayonnemens de l’améthyste. Qu’on adopte ou non cette hypothèse,