depuis longtemps?... Il m’appartenait avant que vous en eussiez conscience, et le parti que vous prenez comble tous mes vœux... Je n’attendais que ce moment pour vous apprendre que, moi aussi, j’ai fait choix d’une compagne. D’ici à quelque temps, trois heureuses familles habiteront ensemble notre vieux château...
Il se marie, ma Teresa ! Edmond se marie ! et, bien que le secret m’ait été demandé, je ne saurais, sans faire outrage à notre amitié, te cacher de quoi il s’agit. Tu connais de longue date cet éternel procès au sujet du domaine de Rosenberg, près d’Oëls? Le possesseur actuel, à qui mes chers protecteurs en disputent la propriété, paraît devoir mourir sans enfans. Son héritière présomptive est une nièce qu’on dit charmante. Tu comprends qu’un mariage avec Edmond serait la solution naturelle d’un litige où l’orgueil des deux familles est encore plus engagé que leur intérêt pécuniaire. Edmond a vu cette jeune personne lors de sa dernière excursion à Breslau; elle lui plaît, il l’épouse : quoi de plus simple? Et pourtant il y a là quelque chose qui me répugne : je ne m’attendais pas à voir Edmond se marier par calcul, par transaction, si tu veux, et cette pauvre enfant, dont les dix-huit ans, le frais visage, la grâce candide, se transforment ainsi en un appoint nécessaire pour qu’un vilain procès s’éteigne à la satisfaction des deux parties, cette pauvre enfant me semble vraiment à plaindre...
Au moment où Juliette écrivait ces lignes, Edmond traçait sur les pages de son journal une véhémente imprécation contre lui-même et son misérable amour. « Comment se fait-il, y est-il dit entre autres choses, comment se fait-il que ni eux, ni personne à côté d’eux, — pas même ma mère, — n’ait deviné les angoisses de mon cœur, la torture qui m’est infligée? Comment Juliette ignore-t-elle ce que je souffre? Comment, devant moi, peut-elle lui prodiguer ainsi les sourires les plus doux, les paroles les plus caressantes? Je suis donc investi d’une rare puissance de dissimulation, et mon masque est bien impénétrable!... Il m’étouffe, ce masque, mais je ne saurais le détacher... Ah ! tant mieux, tant mieux mille fois!... Le jour viendra peut-être où j’aurai mis le pied sur l’hydre aux âpres morsures, étouffé des ardeurs indignes de moi, et où je pourrai reconstruire l’édifice de ma vie, cet édifice qu’un souffle du printemps, un tour de valse, un baiser furtif sous quelque tonnelle du jardin, viennent de faire écrouler autour de moi.
« Le destin l’a voulu. L’anneau fatal a décidé; mais l’arrêt qui semble irrévocable l’est-il en effet? N’existe-t-il plus de ces chances inattendues que la sagesse antique signalait sur le chemin de la coupe remplie aux lèvres altérées du buveur?... Un crime? Allons