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capable de blesser profondément la conscience publique. L’article 14 était le seul débris de la société historique qui survécut au cataclysme de 89. La lutte toujours sourdement ouverte entre les libertés constitutionnelles et une doctrine incompatible avec elles, fut pour la restauration, malgré le talent et la droiture de ses hommes, d’état, une cause permanente de faiblesse, car d’un côté cette lutte, semblait donner à la conscience royale le droit de tout entreprendre, — de l’autre elle présentait aux passions ennemies le moyen de tout oser. La théorie du pouvoir constituant aveugla donc les amis de la royauté légitime en même temps qu’elle apportait à ses adversaires une force immense, de telle sorte que, si la maison de Bourbon avait eu la prescience de ses véritables périls, elle aurait travaillé à les détourner en transformant son propre principe au lieu de le proclamer avec éclat.

C’est ainsi qu’on arrive à travers des péripéties sans nombre, qui ne modifient pas sensiblement la pensée publique toujours persistante, jusqu’à cette révolution de juillet, terme fatal du long conflit des intérêts et des idées. La charte de 1830 vint donner aux théories politiques consignées dans la déclaration des droits une satisfaction complète en ajoutant, il est vrai, à cette victoire les difficultés de toute grande crise. Sous le gouvernement de la branche cadette, la lutte ne fut guère moins vive que sous le précédent règne, et nous voyons après dix-huit années de débats, dont la véhémence contrastait singulièrement, avec le calme de la raison publique, la royauté consentie disparaître dans une catastrophe semblable à celle qui avait emporté la royauté héréditaire. Cependant l’analogie entre les deux situations n’est qu’apparente. Contrairement à ce qui s’était vu depuis 1815 jusqu’à 1830, époque de grandes luttes entre des passions et des idées inconciliables, les partis parlementaires différèrent bien plus de 1830 à 1848 sur la conduite que sur les doctrines, et sur les personnes que sur les choses, quelque accentuation que chacun d’entre eux estimât convenable de donner à ses paroles. Dans ces querelles où l’esprit restait assez libre pour que l’art s’y déployât dans son éclat le plus étudié, les intérêts durent prendre la place des passions amorties, et l’on s’irrita d’autant plus qu’on se comprenait davantage. Aucun parti légalement constitué n’aspirant alors à renverser le pouvoir, et celui-ci n’étant guère menacé que par l’impatience qu’on éprouvait à le servir, la monarchie de 1830, qui aurait pu soutenir une longue lutte contre des ennemis déclarés, périt en quelques heures par la confiance même qu’inspirait sa force : confiance étrange, qui n’aveuglait pas moins les agens du pouvoir sur la portée de leurs actes que l’opposition sur celle de ses coups !