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choisira les individus les plus remarquables sous le rapport de la qualité qu’il recherche : si c’est la grosseur, les plus gros ; si c’est la taille, les plus grands ; si c’est la légèreté, les plus sveltes, si c’est l’intelligence, les plus fins, les plus ingénieux, les plus habiles. Les produits qui résulteront de ce premier choix posséderont les qualités de leurs parens à un degré de plus, car on sait que les caractères individuels se transmettent et s’accumulent par l’hérédité. Si l’on opère sur ces produits comme on a fait sur les premiers individus, la qualité cherchée ira sans cesse en croissant, et au bout de plusieurs générations on aura obtenu ces belles races, toutes de création humaine, que se disputent les pays agricoles, et qui, par des croisemens bien entendus, donnent lieu à d’autres races nouvelles, ou du moins à d’innombrables variétés.

Eh bien ! ce que fait l’homme avec son art, pourquoi la nature ne le ferait-elle pas de son côté ? Pourquoi ne pas admettre une sorte d’élection naturelle qui se serait opérée dans la suite des temps ? Pourquoi ne pas admettre que certains caractères individuels, qui ont été primitivement le résultat de certains accidens, se sont transmis ensuite et accumulés par voie héréditaire, et que par ce moyen se seraient produites dans la même espèce des variétés très différentes, comme nous en produisons nous-mêmes ? Admettons maintenant, avec M. Darwin, un second principe sans lequel le premier ne pourrait produire tout ce qu’il contient : ce principe, c’est le principe de la concurrence vitale. Voici en quoi il consiste. Tous les êtres de la nature se disputent la nourriture ; tous luttent pour vivre, pour subsister. Or il n’y a pour un certain nombre donné d’animaux qu’une certaine somme de subsistances ; tous ne peuvent donc également se conserver. Dans cette lutte, les faibles succombent nécessairement, et la victoire est au plus fort. Les forts seuls survivent, et établissent le niveau entre la population et les subsistances. On reconnaît ici la célèbre loi de Malthus, qui a soulevé de si grands débats dans l’économie politique, et que M. Darwin transporte de l’homme à l’animalité tout entière.

Cette loi étant donnée, et elle est indubitable, voyons comment agit l’élection naturelle. Les individus d’une espèce donnée qui auront acquis par accident un caractère plus ou moins avantageux à leur conservation, et l’auront transmis à leurs descendans, seront mieux armés dans la concurrence vitale ; ils auront plus de chances de se conserver, et quand ce caractère se sera perfectionné par le temps, il constituera à cette variété particulière une vraie supériorité dans son espèce. Imaginez maintenant quelque changement dans le milieu ambiant qui fasse que cet avantage, qui n’avait pas encore beaucoup servi, devienne tout à coup très né-